Depuis le retour de plus en plus affirmé de la Russie dans son interaction avec les pays du continent africain, il est devenu évident que la stratégie annoncée de Moscou pour l’Afrique en qualité d’une de ses principales priorités en matière de politique extérieure se confirme dans les faits. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire.
Depuis le Sommet Russie-Afrique de Sotchi en 2019, l’interaction russo-africaine n’a cessé de poursuivre sa marche en avant, et ce malgré les innombrables critiques de la part des principaux adversaires géopolitiques de l’Etat russe. Cela apparait d’ailleurs comme une suite logique, à l’heure où la Russie démontre clairement l’importance de l’orientation africaine dans sa politique internationale, et que du côté des Etats africains, surtout ceux qui ont déjà fermement affirmé leur droit à la souveraineté véritable ou sont en voie de le faire – la volonté est résolument réciproque.
Au-delà de l’aspect purement interétatique, la Russie peut aujourd’hui compter également sur le soutien d’une large partie de l’opinion publique africaine qui voit en elle un partenaire fiable et sincère. Les événements récents en République du Mali ne font d’ailleurs que renforcer un peu plus cette thèse, car parallèlement au désir des autorités du pays de faire appel à un partenaire de longue date dans le volet sécuritaire dans un cadre souverainiste, la société civile malienne a également joué un rôle de premier plan dans ce rapprochement et dont les opinions ont été justement et largement entendues par l’actuel pouvoir du pays.
Le rôle des thèses panafricaines et souverainistes prend en effet un poids plus que considérable à l’échelle continentale, y compris même dans les pays où les pouvoirs traditionnellement orientés sur les intérêts de l’establishment occidental (des Etats-Unis et de la France notamment) se retrouvent désormais à devoir faire face à une montée des pressions populaires auxquelles ils ne pourront trop longtemps faire la sourde oreille.
Ceci étant dit, beaucoup de choses doivent encore être améliorées dans cette interaction russo-africaine post-soviétique – orientée sur un principe souverainiste, panafricaniste et pro-multipolaire. Si les échanges économico-commerciaux entre les pays africains et la Russie continuent d’aller à la hausse, il n’en demeure pas moins qu’un travail important doit encore être fait. Et ce des deux côtés.
Comme une multiplication des contacts directs entre les opérateurs économiques russes et africains dans le commerce bilatéral. Parmi les recommandations publiées récemment par le Conseil russe pour les affaires internationales (RIAC) on retrouve la poursuite de la diversification des partenariats économico-commerciaux avec les Etats africains, notamment ceux qui ne font pour le moment pas partie des principaux partenaires économiques de la Russie sur continent africain, ainsi qu’une plus large ouverture du marché russe aux exportations africaines. Mais également celui de l’Union économique eurasiatique (regroupant en plus de la Russie – la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizistan).
La coopération dans le secteur de l’enseignement doit elle aussi être revue à la hausse, à l’heure où la Russie accueille pas moins de 270 000 étudiants étrangers, parmi lesquels près de 21 000 étudiants proviennent des pays africains. Un nombre appelé à croître encore plus dans les prochaines années, au moment où la Russie fait traditionnellement partie du Top10 des principales destinations pour les études supérieures au niveau mondial.
Un point très important concerne également une implantation d’industries de transformation d’acteurs industriels russes dans les pays africains. Cela est d’autant plus d’actualité à l’heure où l’Afrique veut pouvoir bénéficier beaucoup plus de ses atouts en termes de ressources naturelles. Pendant trop longtemps, le continent africain était vu comme une base stratégique pour l’obtention des matières premières brutes, en vue d’être transformées dans les régions des acteurs bénéficiaires. Générant d’énormes bénéfices pour ces derniers mais incomparablement moins pour les Etats propriétaires des dites ressources. Quant aux pays africains intéressés par ce type de partenariat, les conditions nécessaires se doivent d’être créées pour pousser les opérateurs économiques et industriels à aller dans cette direction, dans un esprit gagnant-gagnant.
Evidemment, il serait impossible de ne pas faire mention d’une interaction solidaire dans les instances internationales. La Russie va très certainement soutenir ses alliés africains sur la scène internationale, y compris onusienne, sachant qu’au-delà d’être l’une des principales puissances mondiales – est également membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, avec droit de véto. Aussi, les pays africains partageant des relations d’alliance et de partenariat stratégique avec Moscou pourront apporter le soutien nécessaire à la partie russe, notamment lors des votes impliquant l’ensemble de la communauté internationale.
Cet aspect a une importance particulière, à l’heure où une infime minorité mondiale continue de s’autoproclamer être la prétendue communauté internationale, avec le soutien de régimes affiliés. Un schéma qui est inacceptable pour les principaux défenseurs de l’ère multipolaire actuelle, dont la Chine et la Russie. Concernant justement l’interaction de Pékin et de Moscou, il apparait aujourd’hui de plus en plus clairement que les deux puissances, partageant des visions stratégiques communes sur un très grand nombre de dossiers internationaux et dans divers domaines (politique, économie, sécurité, entre autres), pourront travailler dans la complémentarité du savoir-faire réciproque, y compris dans leur interaction stratégique avec l’Afrique. C’est une réalité supplémentaire à prendre en compte.
Tout cela pour dire que les prochaines années seront effectivement décisives pour le partenariat russo-africain, et ce dans de nombreux domaines d’intérêt commun. Et loin de se limiter seulement au partenariat militaro-sécuritaire. Bien que ce dernier aspect fera bien évidemment partie des axes prioritaires entre l’Afrique et la Russie, d’autant plus à l’heure où cela est largement demandé aussi bien par les autorités des pays africains souverains, qu’au niveau d’une large partie des populations africaines. Le tout au moment où les principaux critiques de la présence russe, comme chinoise, n’ont pas été en mesure d’apporter des résultats dignes de ce nom dans le volet sécuritaire, notamment au Sahel. Et ayant en outre été les principaux acteurs du chaos et de l’insécurité qui se sont largement propagés dans les pays concernés.
Cela sans même compter la poursuite de l’interférence dans les affaires intérieures d’Etats africains, avec le maintien d’un agenda purement néocolonial. Ainsi que d’une approche ouvertement hystérique à l’idée que les Africains soient capables de choisir eux-mêmes leurs partenaires et de faire également d’eux-mêmes des analyses géopolitiques et stratégiques.
Dernier point sur le volet sécuritaire. Il ne peut y avoir de développement digne de ce nom d’une nation sans la souveraineté et la sécurité. Les populations africaines l’ont, pour grand nombre d’entre elles, parfaitement compris. Tout le reste n’étant que gesticulations de nostalgiques d’un ordre unipolaire révolu. L’Afrique peut et doit devenir l’un des principaux centres de la multipolarité. Et la Russie peut y contribuer.
Mikhail Gamandiy-Egorov
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