Des sociologues et des analystes politiques constatent de plus en plus de tendances alarmantes liées à l'avenir des Etats-Unis. Plusieurs signes, aussi bien au sein de la société américaine que dans la politique étrangère de Washington, témoignent du début du déclin du plus puissant empire sur la planète. Certains processus rappellent directement les causes ayant entraîné l'effondrement de l'URSS.
L'un des principaux magazines américains Foreign Policy a publié un article intitulé "La route de l'Amérique vers la ruine réputationnelle" (America’s Road to Reputational Ruin). Il conclut que le déclin de la "puissance douce" (soft power) d'autrefois des Etats-Unis n'a pas commencé avec le président américain Donald Trump, mais il contribue par tous les moyens à ce processus par son comportement politiquement incorrect et son exubérance.
Cela fait suite au nouveau scandale provoqué à Washington par le président américain. Rappelons que sur sa page Twitter Donald Trump a invectivé quatre femmes congressistes en notant qu'elles étaient "des ressortissantes de pays, dont les gouvernements sont une catastrophe totale", ainsi qu'en leur suggérant de revenir dans leur patrie pour aider leur Etat. L'auteur conclut qu'en cas de réélection de Donald Trump en 2020 de nombreux alliés américains, habitués à la regarder en retenant leur souffle, ne le feront plus. Selon un sondage de mai mené auprès de 10.000 Américains par la société Pew Research Center, 55% des Américains estiment que Donald Trump a changé le caractère et le ton de débats politiques dans le pays dans le sens négatif, et encore 76% des interrogés sont régulièrement préoccupés par les commentaires du président.
Néanmoins, il ne s'agit pas seulement du président capable de provoquer par quelques tweets des débats enflammés au congrès. Toute la situation politique actuelle aux Etats-Unis est littéralement imprégnée par l'esprit de la méfiance et de reproches réciproques. Dans ce même sondage, 85% des Américains pensent que les débats politiques dans le pays deviennent de plus en plus négatifs et irrespectueux envers un point de vue différent. L'opinion publique se polarise brusquement dans le pays.
La politique étrangère est un "dérivé" de l'intérieure. L'Amérique perd sa "puissance douce", et avec elle les positions géopolitiques non seulement à cause du défi lancé à sa puissance par la Russie et la Chine, mais également à cause des problèmes intérieurs. L'empire américain renonce à ses valeurs de base (famille, religion), alors que les institutions traditionnelles (armée) entrent dans une zone de turbulences. Les forces armées américaines (tout comme la police et les pompiers) sont très respectées dans la société, et pratiquement chaque politique estime qu'il est de son devoir de les qualifier des "plus puissantes du monde". Mais le fait est que l'armée américaine semble oublier pourquoi elle se bat dans des dizaines de conflits à travers le monde.
Il existe un fossé évident entre le militarisme bipartite à Washington et le scepticisme parmi les vétérans américains, qui considèrent pour la plupart les dernières guerres du pays comme une "perte de temps". Suite à la longue guerre qui a commencé le 11 septembre 2001, 64% des vétérans (selon un sondage de Pew Research Center) disent que la guerre en Irak n'a pas amorti les dépenses américaines, et 58% d'anciens militaires sont du même avis en ce qui concerne la campagne afghane.
"Et tant que nous ne reviendrons pas à la politique étrangère léguée par nos pères-fondateurs - s'abstenir de participer aux litiges d'autres pays - nous ne pourrons pas nous sentir en sécurité même dans notre propre maison", écrit dans le livre La Mort de l'Occident (The Death of the West) le célèbre paléo-conservateur Pat Buchanan. Qui mieux que l'individu qui a travaillé en tant que conseiller pour trois présidents américains (Nixon, Ford et Reagan) et impliqué dans plusieurs succès des Etats-Unis en politique étrangère comprend la nuisance des guerres interminables et des interventions humanitaires de Washington?
Malgré les activités militaires permanentes, la capacité des USA de contrôler les autres a manifestement faibli. Il suffit de regarder l'Asie orientale et le Moyen-Orient – l'Amérique ne parvient plus à imposer comme avant sa volonté aux autres pays, même si elle reste incroyablement puissante sur le plan économique et militaire. Et l'exemple de la Turquie est très révélateur: l'un des pays les plus importants de l'Otan qui a tout simplement ignoré toutes les menaces de Washington concernant l'achat de missiles antiaériens russes S-400.
L'Union soviétique, l'un des plus puissants empires dans l'histoire de l'humanité, s'est effondrée non seulement à cause de la chute du prix du baril, du rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine, de la guerre en Afghanistan et du nationalisme grandissant dans les républiques soviétiques, mais également et avant tout à cause de la discréditation des idées professées par l'ordre soviétique. De la même manière la civilisation américaine, qui renonce progressivement à ses valeurs, est menacée par un déclin de la confiance à terme.
Certes, la "puissance douce" de l'Amérique reste flagrante, les USA sont au sommet de la puissance civilisationnelle, mais on a l'impression que c'est le début du déclin. En prévision de l'une des plus grandes fêtes nationales américaines, jour de l'indépendance (4 juillet), l'institut Gallup a établi que pour la deuxième fois en 19 ans moins de la moitié des adultes du pays étaient "très fiers" d'être Américains.
Le Foreign Policy a raison quand il parle du déclin de l'influence américaine: en 2018, seulement 30% des personnes interrogées dans le monde ont parlé d'une attitude positive envers les USA sous la présidence de Donald Trump, alors qu'il y a quelques années ce chiffre avoisinait 50%. Les Américains eux-mêmes renoncent aux valeurs qui leur ont apporté le succès, et il est peu probable que même l'arrivée d'un démocrate permette de remédier à la réduction inéluctable de l'influence américaine dans le monde.