Alors que l’intégration eurasiatique se renforce de jour en jour, y compris parmi les Etats ex-soviétiques, Washington semble vouloir réactiver des projets n’ayant aucun intérêt stratégique pour les pays concernés, mais qui rentrent parfaitement dans les projets atlantistes de bloquer l’effervescence eurasienne.
Le 12 décembre prochain, l’Ukraine accueillera une réunion des chefs de gouvernement des Etats-membres de l’Organisation pour la démocratie et le développement, dite GUAM – regroupant quatre Etats d’ex-URSS, à savoir la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie. L’Ouzbékistan faisait également précédemment partie de ladite organisation, avant de prendre la décision de la quitter en 2005. L’organisme dispose d’un soutien politique et financier des Etats-Unis, dont l’establishment (notamment en son temps Hillary Clinton) souhaite faire tout le possible en vue de stopper toute «renaissance de l’URSS», notamment sous la forme actuelle de l’Union économique eurasiatique qui ne cesse de monter en puissance.
Pour rappel, l’Union économique eurasiatique est composée de la Russie, de l’Arménie, du Kazakhstan, de la Biélorussie et du Kirghizistan. Le Tadjikistan devant devenir membre de l’union prochainement. Et ayant en outre des zones de libre-échange avec le Vietnam (depuis 2015), plus récemment avec la Serbie et le Singapour (octobre 2019), tout en menant des négociations avec la Chine, l’Iran, Cuba, la Mongolie, l’Egypte, l’Inde et la Thaïlande pour l’établissement de tels accords.
Pour revenir maintenant au GUAM, dès la création de l’organisation, dont le siège se trouve dans la capitale ukrainienne Kiev, les orientations pro-occidentales étaient bien visibles: renforcement des relations avec les USA, l’UE et l’Otan, diminution de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. La présence régulière d’envoyés étasuniens aux réunions de cette structure le confirmait d’ailleurs pleinement. Mais depuis le retrait ouzbek, il était devenu clair que l’enthousiasme de départ des instigateurs de sa création partait clairement à la baisse.
La prochaine réunion de ce mois sera-t-elle donc une simple réunion dans le but de maintenir à flot le cadre bureaucratique de l’organisation? Notamment à travers la discussion annoncée de plusieurs thèmes «d’intérêt commun», comme les questions douanières, logistiques, opportunités d’affaires, ainsi que l’élargissement de la coopération dans les domaines économique, scientifique, énergétique, des télécommunications et autres. Ou serait-ce une tentative de raviver une structure dans laquelle l’Ukraine souhaite prendre un rôle de leader, en coordination avec Washington, et dans une moindre mesure Bruxelles?
Il est évident qu’à travers ce genre de rencontre, parrainée par la diplomatie US, l’Ukraine de Zelensky cherche à montrer que sa voix compte et qu’elle ne prévoit pas de reculer. Surtout à un moment où des divergences nettes apparaissent entre Kiev et plusieurs pays de l’UE, en premier lieu l’Allemagne, qui en observant les attaques ukraino-étasuniennes qui visent les intérêts énergétiques (et économiques) allemands, notamment dans le cadre du gazoduc North Stream 2, n’a pas manqué de rappeler à l’ordre le pouvoir ukrainien, en allant même jusqu’à le menacer de réduction du soutien économique. Un soutien économique dont l’Ukraine a énormément, oui énormément, besoin. Un message que Kiev ne peut ignorer – surtout lorsque c’est la première économie de l’UE qui le dit. Evidemment Berlin ne fait pas cela par amour pour la Russie, mais bel et bien strictement dans le cadre de la défense de ses intérêts stratégiques, car faut-il le rappeler les Allemands savent bien compter les coûts et profits.
Quant à Washington, l’intérêt pour le GUAM n’est principalement autre que de tenter à montrer qu’il existe une alternative à l’intégration eurasienne promue par la Russie et ses alliés. Et de rappeler que leurs pions dans l’ex-URSS sont toujours actifs, des pions qu’ils comptent bien utiliser pour mettre un maximum de bâtons dans les roues aux projets qui n’arrangent guère les intérêts washingtoniens, que ce soit l’Union économique eurasiatique (UEEA), l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ou encore l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).
Mais concrètement parlant, l’Ukraine dans sa version actuelle peut-elle prétendre à un quelconque «leadership», même étant adoubée par Washington? Rien n’est moins sûr. A commencer par le fait qu’au sein même du GUAM, on est loin, très loin de l’unité. Si en effet avec la Géorgie, l’Ukraine peut prétendre à une sorte d’axe anti-russe, et ce depuis les fameuses révolutions de couleur dans ces deux pays orchestrées, soutenues et suivies par les USA, dans le cas de la Moldavie et de l’Azerbaïdjan, on est assez loin de la rhétorique russophobe.
Dans le cas moldave, il faudrait rappeler qu’un président ouvertement pro-russe et surtout partisan de l’intégration avec l’Union économique eurasiatique, est au pouvoir depuis 2016. Il est vrai que les éléments pro-occidentaux de son pays lui mettent à chaque bonne et moins bonne occasion des bâtons dans les roues, mais Igor Dodon ne compte pas lui aussi reculer. Surtout profitant d’un soutien important de la population moldave et des cercles d’affaires – pour nombreux déçus par les années pro-occidentales à Chisinau. Quant au cas de l’Azerbaïdjan, il est à noter que ce pays a su, et ce depuis l’éclatement de l’URSS, à maintenir des relations fortes avec Moscou sur le plan politique, économique, culturel et sécuritaire, tout en développant ses relations aussi bien avec les pays occidentaux, mais surtout la Turquie, ou encore l’Iran. Plus que cela, nombre d’experts azéris ne cessent d’émettre des doutes sur la viabilité du GUAM et surtout sur la nécessité pour leur pays d’y maintenir sa participation…
Kiev peut donc tenter à prétendre au leadership, avec la «bénédiction» des USA, dans une structure que ces derniers souhaiteraient certainement voir comme une alternative fiable aux projets eurasiens en cours et qui déplaisent fortement à Washington. Encore faut-il, même en ayant un parrain puissant, avoir les moyens de ses ambitions. Et en ce sens, l’Ukraine version actuelle, est tout sauf une mise sérieuse.
Mikhail Gamandiy-Egorov