En novembre dernier, David Pearce, l'ancien ambassadeur des États-Unis en Algérie de 2008 à 2011, a dénoncé le black-out médiatique sur les manifestations populaires et pacifiques en Algérie. En effet, les médias occidentaux observent un silence assourdissant sur les atteintes aux droits de l'homme ainsi que sur les manifestations monstres, drainant des millions de personnes chaque week-end, alors qu'ils sont si prompts à réagir concernant l'Irak ou le Liban.
Une semaine avant l'adoption par le Parlement européen d'une résolution non contraignante sur la situation des droits de l'homme en Algérie, le député européen Raphaël Glucksman a jeté un véritable pavé dans la mare en dénonçant via son compte Twitter le soutien au régime algérien par les gouvernements européens, influencés par les lobbies gaziers et pétroliers, et leur silence complice et hypocrite sur ce sujet.
La crise algérienne vient de boucler son neuvième mois avec un pouvoir des généraux qui fait la sourde oreille aux revendications populaires pour obtenir un changement radical du système et la fin de l'emprise des militaires sur la vie politique et économique du pays. Mais qu'est-ce qui pourrait justifier cette attitude de la part des Occidentaux? L' expert Brahim Oumansour, dans une interview accordée à la revue de l'IRIS le 26 février dernier, affirme, «qu'une déstabilisation du plus grand pays d'Afrique entraînera une déstabilisation de toute l'Afrique du Nord avec comme conséquence directe une déferlante de migrants vers l'Europe. L'Algérie est aussi un pays pivot dans la lutte antiterroriste dans la région du Sahel et sa déstabilisation pourrait engendrer une recrudescence du terrorisme et de la crise migratoire». Il en est ainsi et c'est l'une des monnaies d'échange du régime algérien. Mais pas que. Une lecture des événements, qui ont jalonné cette année 2019, tend à confirmer la thèse que l'un des éléments de réponse est sans aucun doute le gaz et le pétrole. L'Algérie, dont le quota OPEP est d'un peu plus de 1 million de barils par jour (liberte-algerie du 4 décembre 2016), est le troisième fournisseur de gaz pour l'Europe et dispose de la troisième plus grande réserve en gaz non conventionnel. Autant dire que l'Algérie demeure un acteur de premier ordre dans la sécurisation des approvisionnements énergétiques de l'Europe et une source de diversification de ses partenaires. Surtout que l'UE, premier marché mondial de gaz, tente de quitter de nouveau sa dépendance au gaz russe.
D'autres éléments de réponse tendent à accréditer cette thèse. En effet, le gouvernement algérien actuel, censé gérer uniquement les affaires courantes du moment comme celle de l'élection d'un nouveau président qui n'a pas eu lieu suite à la démission de Bouteflika, a promulgué une nouvelle loi sur les hydrocarbures dans la précipitation et sans débats publics. Le ministre de l'Energie a affirmé le 8 octobre dernier, dans une déclaration rapportée par l'APS, que «nous avons discuté avec les grandes compagnies classées parmi les cinq meilleures compagnies dans le monde et nous avons pu relever deux aspects à améliorer dans l’actuelle loi sur les hydrocarbures, à savoir le cadre réglementaire et le système fiscal». En d'autres termes, cette nouvelle loi a été élaborée en concertation avec les cinq pétroliers. C'est un aveu qui sonne comme un deal entre les dirigeants algériens et les puissances occidentales. A cet état de fait, nous avons les fuites parues dans certains organes de presse (https://algeriepartplus.com/) faisant état de la découverte d'un méga gisement de gaz en offshore comparable à celui découvert en Égypte. Cette découverte fait saliver les majors et explique la célérité dans l'adoption de la nouvelle loi sur les hydrocarbures pour donner une protection juridique aux futurs investisseurs à l'instar de la société italienne Enni et de la société française Total.
Cette dernière (Total) est aussi concernée par le rachat des actifs africains (Ghana, Mozambique, Afrique du Sud et Algérie) de la compagnie américaine Anadarko. La compagnie chère à Dick Cheney, qui a mis pied en Algérie pendant la décennie noire en 1997 à la faveur de l'abandon de plusieurs compagnies de l'Algérie à la suite des menaces et attentats perpétrés contre les coopérants étrangers, et qui a été racheté en en août 2018 par Occidental Petroleum (OXY), est présente dans les immenses bassins de Berkine et El Merk. OXY voulant se concentrer sur le marché américain et principalement le gaz de schiste a mis en vente ses actifs africains. La conclusion de cette transaction permettra à Total de mettre la main sur 25 % du pétrole algérien. Dans un communiqué repris par le journal économique http://maghreb-info.com/ le premier ocobre 2019, Total a estimé que «c'est une opportunité d’acquérir un portefeuille d’actifs de classe mondiale en Afrique, ce qui renforcerait notre position de leader parmi les sociétés privées internationales sur le continent», tout en soutenant qu'en acquérant les actifs d'Anadarko en Algérie, Total deviendra un opérateur majeur d’actifs pétroliers». Côté algérien, c'est la cacophonie générale avec des déclarations contradictoires concernant le droit de préemption sur les actifs d'Anadarko. C'est un sujet sensible et hautement politique entre les deux pays.
Le pétrole et le gaz d'où proviennent 98 % des recettes en devises du pays est un enjeu crucial pour l'Algérie et l'avenir des ses générations futures. Beaucoup d'Algériens préoccupés par cette situation dénoncent le bradage des richesses du pays en hypothéquant l'avenir du pays le laissant à la merci des intérêts étrangers.
Ibersienne Mohand