Une soudaine déclaration de guerre aux monuments de certaines personnalités historiques aux Etats-Unis et dans les pays de l'UE a immédiatement mis en évidence les contradictions de la société occidentale cachées derrière le voile du politiquement correct, du multiculturalisme et de la tolérance. Mélangés aux profondes rancunes raciales, ethniques et historiques ils ont rapidement échappé au contrôle des autorités.
Alors que la vague de vandalisme et de destruction qui a déferlé en Amérique et en Europe contre les monuments qui semblaient immuables, accompagnée par une révolte insensée et impitoyable de casseurs dans les villes américaines et européennes, a clairement montré la charge destructive qui s'accumulait depuis des années dans les pays de "démocratie développée".
L'histoire montre que tôt ou tard toutes les sociétés et époques traversent une période de "chute des statues". Depuis l'antiquité et jusqu'à aujourd'hui des monuments aux grandes personnalités du passé étaient démantelés au profit des réalités politiques du moment. Et dans ce sens les événements actuels en Europe n'ont rien de nouveau.
Cependant, certains perçoivent dans la destruction actuelle de monuments aux généraux confédérés américains qui opprimaient les Noirs, aux marchands d'esclaves britanniques ou aux colonisateurs belges, un véritable triomphe du progrès. Car il s'agit d'un combat pour les droits de l'homme et du rétablissement de la justice bafouée. Ceux dont les droits ont été réellement bafoués violemment par le général Robert Lee pendant la guerre civile américaine, par Edward Colston, propriétaire britannique de Royal African Company au XVIIIe siècle, ou le roi belge Léopold II au Congo au début du XXe siècle, s'en moquent depuis longtemps.
Mais après le décès résonnant de l'Afro-Américain George Floyd, la génération actuelle de citoyens américains et européens, qui passaient tranquillement à côté de ces monuments depuis des années, tout à coup ne pouvait plus se résigner au fait que la cause esclavagiste et colonisatrice de Lee, de Colston et de Léopold soit "plus vivante que jamais". C'est mal vu de le dire à voix haute en Occident avec son culte d'équité déclaré, mais c'est effectivement le cas.
Quel a été l'élément déclencheur qui a poussé les Américains et les Européens respectueux de la loi à se transformer en vandales et en combattants contre les monuments aux représentants de leurs propres élites d'autrefois?
Le balancier politique actuel aux Etats-Unis poussé par les problèmes économiques provoqués par le coronavirus, par le président Trump "divisant" la nation et la bataille partite a temporairement penché du côté de l'anti-establishment. Si le candidat conservateur remportait la prochaine présidentielle américaine en novembre, le monument aux confédérés reviendrait à sa place. Il ne fait aucun doute que ce sera le cas à Richmond (capitale de la Virginie) où a commencé le démantèlement du monument au général Lee, une sorte de symbole de la suprématie blanche sur la population noire du pays.
En Europe qui a traversé la crise financière, migratoire et de coronavirus tout le monde ne parle que d'un "leadership moral" perdu. Pas étonnant qu'en son absence soit modifiée sa propre histoire peu flatteuse, qui a été rappelée après les émeutes raciales aux Etats-Unis.
Les politiques de l'UE assistent horrifiés au démantèlement de monuments britanniques et belges, mais ne peuvent rien y faire – l'électorat pourrait ne pas l'apprécier. D'un autre côté, la réticence à tracer des "lignes rouges" pour les manifestants qui critiquent la discrimination raciale leur ouvrirait la porte à des actions plus résonnantes et menaçantes.
En laissant les citoyens mécontents évacuer leur colère protestataire les nouvelles tentatives de renverser un monument de colonisateur ou de marchand d'esclaves seraient fermement réprimées. Il se pourrait que par la suite les statues renversées reprennent leur place en silence.
La guerre contre sa propre histoire et les monuments est à double tranchant. Et cela n'atténue pas pour autant la fracture sociale qui, dans le meilleur des cas, demeure la même.