Cela fait plusieurs mois que la politique étrangère du président syrien Bachar al-Assad préoccupe Moscou. Il semblerait que le dirigeant syrien soit prêt à abandonner les positions acquises avec la Russie et à échanger une partie de la souveraineté contre de l'aide financière de plusieurs sources à la fois.
Depuis l'automne 2021, la Syrie tente de rétablir les contacts internationaux rompus pendant les années de guerre et d'isolement partiel forcé.
La normalisation des relations avec les partenaires régionaux a commencé par la rencontre du ministre émirien des Affaires étrangères Abdallah ben Zayed Al Nahyane avec Bachar al-Assad, qui s'est tenue en novembre 2021. Le ministre a déclaré que son pays, dix ans après la rupture des relations diplomatiques, était prêt à soutenir dans tout la Syrie et sa population. À l'issue de ces pourparlers, le ministère syrien de l'Énergie et un consortium de compagnies émiriennes ont signé un accord de construction d'une centrale solaire de 300 MW près de Damas.
Ce qui a été suivi par un rapprochement entre la Syrie et la Jordanie. En octobre, le président Bachar al-Assad et le roi Abdallah II ont évoqué par téléphone la coopération entre les deux pays, et dès décembre a été annoncée la reprise du travail de la zone de libre-échange jordano-syrienne. La nouvelle étape des relations jordano-syriennes était également marquée par la reprise de l'activité d'affaires, commerciale et économique après six ans d'interruption. Les deux pays ont notamment organisé sur le territoire syrien le fonctionnement d'un réseau de centrales électriques acheminant de l'électricité au Liban. Dans le cadre du développement des relations commerciales, Damas a organisé une exposition du commerce et des services de la Jordanie, les deux pays se sont également entretenus à haut niveau sur l'élargissement de la coopération bilatérale dans le domaine des investissements et du tourisme.
De plus, ces derniers temps on parle de plus en plus d'un rapprochement probable entre Ankara et Damas. Selon certaines informations, des responsables turcs se sont entretenus avec des représentants officiels syriens dans la ville jordanienne d'Akaba. Les interlocuteurs se sont entendus sur le placement d'Alep sous le contrôle turc pour relancer dans cette ville et aux abords les entreprises industrielles. D'après certaines sources, afin de réaliser ce projet la Turquie est prête à attirer des fonds du Qatar, de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.
Enfin, Damas ne cesse pas et même renforce son rapprochement avec l'Iran. Il s'agit notamment d'un accord sur la réduction des taxes douanières sur plusieurs marchandises, ce qui a été confirmé pendant la rencontre de janvier entre le ministre syrien de l'Économie et du Commerce intérieur Mohammad Samer al-Khalil avec une délégation iranienne. Le ministre iranien des Routes et président du Comité économique irano-syrien Rostam Ghasemi a exprimé pendant la rencontre la détermination de l'Iran à aider le gouvernement syrien à rétablir l'infrastructure détruite du pays et a parlé de la perspective de développer un itinéraire terrestre sous la forme de deux axes formant une ligne entre l'Iran et la Méditerranée.
Dans les déclarations à l'issue de tous ces pourparlers, le gouvernement syrien ne mentionne pas la Russie. En outre, les médias syriens font de plus en plus allusion au fait que même si la Russie a aidé pendant la guerre, elle a déjà accompli sa mission en Syrie et le pays vivra désormais sans tenir compte de cette aide.
Les contacts du gouvernement syrien avec différents acteurs internationaux montrent que Bachar al-Assad estime possible de construire des relations avec tous les acteurs "forts" et remplir ses propres objectifs en politique étrangère selon le principe d'une ouverture totale du pays. Cependant, tous les résultats positifs des nouvelles ententes de Bachar al-Assad paraissent insignifiants sur fond d'efforts déployés par la Russie pour sauver la population syrienne et le président al-Assad de la catastrophe d'une guerre fratricide. Bachar al-Assad contrôlait à peine plus de 15% du territoire du pays quand l'armée de l'air russe a commencé son opération en Syrie, les groupes terroristes se trouvaient aux abords de Damas et étaient prêts à rayer de la carte la capitale et le gouvernement du pays.
Ce contexte pose une question cruciale pour la Russie: quelle place Bachar al-Assad attribue-t-il aujourd'hui à la Russie dans le "cocktail syrien"?
La Russie continue d'apporter une aide économique à la Syrie, alors que les militaires russes garantissent la sécurité sur le territoire du pays et luttent contre les groupes terroristes. Mais il semblerait que Bachar al-Assad ait commencé à oublier que c'est la Russie qui l'a aidé au moment le plus critique pour le soutenir au cours de toute cette période. Serait-il possible à présent de se séparer de la Russie après la reprise du contrôle sur la majeure partie du territoire, après l'élimination presque totale de la menace terroriste et le renforcement des positions du gouvernement? Les dernières actions du président syrien témoignent précisément d'une telle tendance. Il est évident qu'une nouvelle fois le profit financier immédiat semble à Bachar al-Assad plus tentant que la préservation de son principal partenaire stratégique.
Alexandre Lemoine
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