03.07.2023
Sylvain Takoué, originaire de la Côte d’Ivoire, qui vient de publier Une seule Chine pour alerter l’opinion internationale sur les risques réels de voire éclater une Troisième Guerre mondiale, a donné un entretien à Observateur Continental qui lui demande quel est l’intérêt d’avoir la Chine en Afrique et sur le regard des Africains sur le conflit en Ukraine et sur la position de la France en Afrique.
La 43e flotte en mission d’escorte de la marine de l'Armée populaire de libération (APL) est arrivée le 22 juin à Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire, pour entamer une visite amicale de quatre jours. Que cherche l’armée chinoise dans votre pays?
Sylvain Takoué: Officiellement, c’était pour trois objectifs: premièrement, renforcer le programme de coopération militaire entre la Chine et la Côte d’Ivoire; deuxièmement, la marine chinoise apporte son soutien au gouvernement ivoirien dans la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe de Guinée; et troisièmement, mutualiser les stratégies et moyens militaires pour trouver une solution durable à la piraterie maritime, qui coule les économies des pays de la sous-région ouest-africaine.
Voilà le cadre présenté, quand, après l’accostage de cette 43e flotte d’escorte chinoise au port d’Abidjan, l’attaché de Défense de l’Ambassade de Chine en Côte d’Ivoire, le colonel-major Yan Léi, et le commandant du port d’Abidjan, le colonel Coffi Yao Emmanuel, ont échangé les civilités. Il faut savoir que ce n’est pas la première visite de la flotte marine chinoise en Côte d’Ivoire. Car, en mai 2014, la 16e flotte d’escorte chinoise, sous le commandement du contre-amiral Li Pengcheng, avait accosté, pour la première fois dans l’histoire de la Chine et de la Côte d’Ivoire, au port d’Abidjan, avec 660 marins qui venaient d’achever leurs missions antipirates dans les eaux du golfe d’Aden et dans celles de la Somalie. Cette 16e flotte était composée d’un ravitailleur et de deux frégates lance-missiles Yancheng.
Comment et pourquoi êtes-vous venu sur le chemin de fonder une ONG ivoirienne dénommée la ChinaAfrica International?
Sylvain Takoué: La dénomination correcte de cette ONG est: Chinafrica International. Je suis parvenu à créer cette organisation au moment où ce besoin se faisait pour moi, en tant qu’écrivain africain, d’être utile à la réflexion sur la transformation globale de l’Afrique, et d’expérimenter, par là même, la scène de la coopération Chine-Afrique, en y conduisant une organisation culturelle, d’échanges amicaux multiformes, et qui soit d’utilité publique. Ce n’est pas une organisation suscitée, mais initiée. Donc, fondée en juin 2022, en Côte d’Ivoire, Chinafrica International s’est donné la vocation de contribuer autrement, c’est-à-dire scientifiquement, tangiblement, au renforcement de la coopération de l’Afrique avec la Chine.
Que voulez-vous atteindre avec la création du «Prix Xi Jinping», du nom du président chinois?
Sylvain Takoué: Pousser le monde à monter sa mentalité à la hauteur de la grande vision de développement que le président Xi Jinping a actuellement du monde, et qui a contribué à transformer si admirablement la Chine. Pour mériter de recevoir, chaque année, ce prix honorifique et de prestige, les lauréats devront faire montre d’une telle capacité dans leur domaine d’activité respectif. Ce prix Xi Jinping sera en concurrence avec le prix Nobel.
Pourquoi ce besoin de se tourner totalement vers la Chine alors que les liens avec la France ont toujours été forts notamment en raison de la langue française?
Sylvain Takoué: C’est une autre expérience pour l’Afrique. Il faut laisser faire cela. La France a encore un lien solide, celui de la francophonie, avec notre continent. Vous savez bien qu’il y a plus de 321 millions de locuteurs francophones dans le monde. L’OIF avait même estimé que ce nombre était en hausse de 7%, entre 2010 et 2014. Or, l’Afrique tient plus de la moitié de ce nombre. De plus, sur bien d’autres plans, la France est un partenaire historique en Afrique. C’est indiscutable, même si les relations de l’Afrique avec elle connaissent aujourd’hui des dissensions explicables. Mais le plus important est qu’il faut laisser l’Afrique faire d’autres expériences de vie, telles que la coopération avec la Chine. C’est un besoin nécessaire, indispensable et existentiel, et c’est à cela que nous travaillons activement.
Comment a évolué la Côte d’Ivoire depuis Félix Houphouët-Boigny?
Sylvain Takoué: Après lui, la Côte d’Ivoire a connu des mutations internes. C’est un nécessaire processus. Du vivant du président Félix Houphouët-Boigny, il y avait cet appel aux mutations internes, traduites par les batailles politiques autour de la démocratie. Je prépare d’ailleurs, en ce moment, un court essai de réflexions sur Félix Houphouët-Boigny et son appel incompris de la vertu de discipline. Après son ère, qui a notamment fait connaître ce qu’on a appelé le «miracle (économique) ivoirien», mais aussi la crise politique autour de la forme de gestion du pouvoir d’Etat, la Côte d’Ivoire actuelle fait face au grand défi de pouvoir réaliser un autre miracle (économique), en même temps qu’elle est sur le chemin d’une démocratie consensuelle, que le successeur du président Félix Houphouët-Boigny, à la tête du pays en 1993, Henri Konan Bédié, a appelé «la démocratie apaisée». Je prépare d’ailleurs aussi, la publication imminente d’une grande trilogie de réflexions sur cette thèse.
Quelle place a la France actuellement en Côte d’Ivoire?
Sylvain Takoué: Il est vérifiable que la place officielle et actuelle de la France en Côte d’Ivoire n’a pas varié depuis Félix Houphouët-Boigny. Les relations bilatérales entre la France et la Côte d’Ivoire sont au beau fixe.
Ne craignez-vous pas d’être dévoré par la Chine? En devenir une colonie?
Sylvain Takoué: Ce n’est pas la bonne façon de voir les choses. Il faut plutôt dire: Pensez-vous devenir comme la Chine? Et quand, je reformule ainsi les choses, je parle globalement de l’Afrique, pas d’un seul pays africain. Or, c’est la vision actuelle de la Chine continentale, de permettre à l’Afrique, de prospérer économiquement comme elle. Disons, pour être plus précis, que le message de la Chine continentale au reste du monde est celui-ci: «Communauté de destin», «développement en commun», «partage du développement».
Est-il possible d’y parvenir? La même Chine répond que oui, en faisant, en général au monde l’offre des «nouvelles Routes de la Soie», par son Initiative «La Ceinture et la Route», et spécifiquement à l’Afrique, l’offre économique du FOCAC, qui est le Forum sur la coopération Afrique-Chine, établi depuis octobre 2000, et qui est un partenariat économique gagnant-gagnant, fait sur un pied d’égalité et d’équité. C’est vérifiable. Alors, comme vous le voyez, les craintes de «devenir une colonie» de la Chine, est pour l’Afrique comme une chimère. Cela n’existe pas.
Comment regarde la Côte d’Ivoire le conflit en Ukraine?
Sylvain Takoué: C’est un regard officiel connu. La Côte d’Ivoire a pris position pour l’Union européenne et ses alliés, en faveur du vote des résolutions sur la crise en Ukraine. Depuis le 1er mars 2022, cette position officielle de la Côte d’Ivoire a été ouvertement donnée, après l’«opération spéciale» lancée le 24 février 2022, par la Russie en Ukraine. Le 1er mars 2022, lors de sa rencontre avec l’ensemble des ambassadeurs de l’Union européenne, des Etats-Unis d’Amérique, du Canada, de la Suisse, ainsi que de la Grande-Bretagne, la ministre d’Etat ivoirienne, ministre des Affaires étrangères, avait fait cette communication qui disait que le président de la République de Côte d’Ivoire a donné des instructions fermes (et je cite) «pour que la Côte d’Ivoire soutienne l’Union européenne et ses alliés à voter OUI, sur toutes les résolution qui seront prises par les organisations internationales travaillant sur la crise en Ukraine». C’est donc cela, le regard officiel connu. Mais vous devez savoir que 500 ressortissants ivoiriens, au moins, vivaient en Ukraine qui devenait une zone de guerre, et qu’il fallait aussi chercher à les évacuer de là-bas, par les bons soins des ambassadeurs occidentaux.
Que pensez-vous de la politique française vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie?
Sylvain Takoué: C’est une politique de logique. On sait que l’Ukraine frappe à la porte de l’Otan et veut y entrer, avec les bons sentiments de l’Union européenne et des Etats-Unis d’Amérique, mais que c’est précisément ce qui a occasionné le conflit avec la Russie qui, pour des questions géostratégiques, ne veut pas que l’Ukraine intègre l’Otan qui, à ce jour, compte 30 pays membres, y compris les Etats-Unis d’Amérique, adversaire hégémoniques naturels de la Russie. La politique de logique voudrait que la France, pays fondateur de l’Otan, depuis 1949, ne se désolidarise pas de ses alliés de l’Otan, surtout pas des Etats-Unis, et qu’elle donne aussi, comme eux, de la voix pour soutenir le désir de l’Ukraine d’être intégrée au sein de l’Otan.
En soutenant donc tant politiquement que militairement l’Ukraine, dans ce conflit armé qui l’oppose à la Russie, la France ne rame pas, bien entendu, à contre-courant de ses autres alliés connus. Je pense, pour ma part, que la France, en le faisant, obéit aux dispositions de l’article 5 du traité fondateur de l’Otan, qui engagent, par le principe de la «défense collective», les pays membres à porter militairement assistance si le territoire de l’un d’eux, qu’il soit situé en Amérique du Nord, ou en Europe, est envahi. Ces dispositions stipulent que les pays membres de l’Otan, s’ils l’estiment nécessaire, entrent en guerre contre l’Etat qui agresse militairement l’un des alliés.
Toute la question est cependant de savoir si l’Ukraine, qui n’est pour le moment que dans une intention, a acté son entrée effective à l’Otan, pour y siéger de droit et de fait. L’autre volet des dispositions 5 du traité de l’Otan, dit aussi que, si un Etat déjà membre était agressé par un autre Etat étranger, l’engagement à défendre l’agressé n’est pas automatique. Car, cet article 5 dit, et je cite: «l’entrée en guerre des alliés contre l’agresseur est éventuelle, même si l’on suppose que dans le cas d’une agression par un État étranger à l’alliance d’un État allié, tous les alliés entreront en guerre contre l’État agresseur, ou au moins le principal d’entre eux, les États-Unis d’Amérique». Au-delà de tout, une question de fond et de forme demeure, qui est quand même bien celle-ci: Au regard de ces dispositions, l’Ukraine fait-elle déjà partie intégrante de l’Otan?
Dans quel sens va cette politique de logique?
Sylvain Takoué: Comme je viens donc de l’indiquer, cette politique de logique de la France va bien évidemment dans le sens de défendre corps et âme, c’est-à-dire tant politiquement que militairement, l’Ukraine qui est potentiellement considérée à la fois comme un Etat de l’Otan, et comme un Etat agressé de l’extérieur.
Vous savez, par exemple, qu’entre janvier et novembre 2022, le montant de l’aide financière, militaire et humanitaire, apporté par la France à l’Ukraine, est estimé à 1,41 milliard d’euros, et que la France est la 7ème entité sur la liste des Etats occidentaux qui soutiennent mordicus l’Ukraine.
Mais, nous avons tout récemment aussi entendu le président français, Emmanuel Macron, dire que la possibilité d’un règlement politique, par approche téléphonique entre lui et le président russe Vladimir Poutine, n’était pas écarter, et que si Vladimir Poutine l’appelait, il lui décrocherait…
Est-ce, de la part du président de la France, un appel tactique à prendre maintenant du recul par rapport à ce conflit armé, qui reste à la fois très coûteux et très périlleux pour les pays de l’Otan, vu les fonds énormes injectés peut-être à perte, ainsi que la destruction des matériels militaires fournis à l’Ukraine? On se pose maintenant cette question.
Au-delà de votre engagement dans la politique pour les relations avec la Chine, vous êtes aussi un poète. Votre livre, La flûte des Dieux: Poésie, en témoigne. Est-ce que la poésie peut être une arme politique?
Sylvain Takoué: Je préfère entendre dire que la poésie est un «moyen», et non une «arme». Cela évite d’être dans les ambiguïtés de connotation du mot «arme». Et dans ce cas, oui, la poésie peut être un moyen d’expression politique. Souvenez-vous de l’affrontement politique entre le grand poète Victor Hugo et Napoléon 3. Souvenez-vous aussi qu’il y a eu la grande poésie de la Négritude, avec les meneurs littéraires et intellectuels, bien connus, de ce mouvement de la pensée de libération: Léopold Sédar Senghor qui est devenu le président de son pays, le Sénégal, et même membre de la très prestigieuse Académie française, anciennement créée par le cardinal de Richelieu. Puis Aimé Césaire qui est devenu député, maire et président du conseil régional de chez lui, en Martinique. Et Léon-Gontran Damas, qui a été député de la Guyane, sa terre…
C’étaient des poètes africains réputés même des philosophes français, tels que Jean-Paul Sartre, qui ont mené, par la pensée poétique, le combat d’émancipation de l’Africain en particulier, et du Noir en général. Mon épopée poétique que vous mentionné, La Flûte des Dieux, est une continuation et une continuité, sous des airs modernes et contemporains, de la poésie de la Négritude du début du 20e siècle.
Que souhaitez-vous pour la Côte d’Ivoire?
Sylvain Takoué: La paix, la sécurité, la stabilité politique. Surtout en ces temps d’élections générales qui s’annoncent. Je souhaite de même la prospérité économique inclusive, à la fois pour l’Etat de Côte d’Ivoire, et pour le peuple ivoirien. Or, c’est ce chemin glorieux que nous ouvre la coopération actuelle avec la Chine.
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