Alexander Ponomarenko, politologue
Pendant ce temps, même les alliés politiques de Porochenko se sont détournés de lui
Après le premier tour des élections ukrainiennes, le résultat de leur second tour est prédéterminé. Cette prédétermination est visible non seulement par la sociologie, mais aussi parce que, après le vote, aucun des candidats sortants et aucun politicien du premier tour n’ont pris la parole au profit de Petro Porochenko. Ainsi, les responsables du second parti de la coalition gouvernementale du Front populaire, l'ancien Premier ministre Arseniy Yatsenyuk, son président Andrei Paruby et même le secrétaire du Conseil de sécurité, Alexander Turchinov ont continué de se taire .
Le chef officiel du parti, Petro Porochenko (BPP), le maire de Kiev, Vitali Klitschko, et le Premier ministre Vladimir Groisman, qui ont soutenu le président lors de la nomination, n'ont fait aucune déclaration. Le Premier ministre a répondu ''il continue sa route'' à la question des journalistes si ''Petro Porochenko a-t-il besoin de soutien?''.
Mais Porochenko ne se trouvait qu'à l'intérieur du pays dans une solitude politique. Immédiatement après le vote, l’Occident a donné des signes qui montraient son soutien clair envers Porochenko. Tout d’abord, l’Envoyé spécial du Département d’État, Kurt Volker, a déclaré le 4 avril à la radio du Service public américain (PBS) que les Ukrainiens sont confrontés au choix entre une personne qui s’oppose simplement au système en promettant une vaste réforme et à un candidat qui a peut-être déçu ses électeurs au cours des 20 dernières années mais qui s'est opposé à Poutine.
Kurt Volker a développé la question en se demandant si les électeurs ne voulaient pas quelqu'un qui les auraient, dans une certaine mesure, peut-être déçus mais qui a procédé à bien plus de réformes que quiconque en Ukraine au cours des 20 dernières années et qui s'est opposé à Poutine ? Dans le même entretien, le slogan type évoqué est que les États-Unis n'appuieraient pas un seul candidat, mais soutiendraient les principes ce qui ne pouvait occulter des sympathies évidentes.
Le lendemain, le 5 avril, ils ont annoncé à Berlin que la chancelière Merkel recevrait Petro Porochenko dans une semaine. Comme aucune visite de ce type n'avait été prévue auparavant, le geste de soutien semblait évident.
Je suppose que l’Occident a été guidé selon la logique suivante que Porochenko lui convient avec sa politique étrangère qui, contrairement à la politique intérieure, n'a jamais été critiquée publiquement. L'écart de 14% est théoriquement surmontable, ce qui a été maintes fois prouvé dans la pratique, par exemple lors de la récente élection présidentielle en Autriche. Et selon le mythe promulgué par les Occidentaux, «les Ukrainiens se sont révoltés en 2014 pour faire partie de l'Occident», ce qui signifie que les paroles et les gestes des dirigeants occidentaux peuvent influer sur leur humeur.
Cette logique ne tenait vraiment pas compte du fait que, selon la sociologie, les sympathies des électeurs pour des candidats ayant quitté l'arène politique ne laissaient aucune chance à Porochenko même par l'emploi de calculs mathématiques les plus flatteurs. Par exemple, un tiers de ceux qui ont voté pour Vladimir Zelenski et la moitié des électeurs potentiels du leader en lice (c'est-à-dire ceux qui sont enclins à le favoriser dans l'électorat des candidats ayant quitté l'arène politique) ne se rendent pas aux urnes. Par contre, Porochenko conserve tout son électorat du premier tour et tous les électeurs potentiels. Malgré tout le président est désespérément à la traîne. L'écart entre les candidats dépasserait un million et demi de voix.
Cependant, il semble que les analystes occidentaux ne veulent pas le voir. Mais ici, lorsque la première sociologie post-électorale a montré qu'au second tour, l'écart entre les candidats des partis ne ferait que s'aggraver et que Porochenko risquerait de ne pas obtenir même un tiers des voix, les positions de l'Ouest ont été ajustées.
Quoi qu'il en soit, dans le message vidéo de Kurt Volker durant le Forum sur la sécurité de Kiev du 11 avril, ses mots ne ressemblaient plus « qu'à une feuille de vigne » recouvrant le soutien à Porochenko quand il fut dit que les États-Unis ne soutenaient pas les candidats, mais que les principes. Le représentant du département d'Etat n'avait déjà aucun signe de sympathie pour aucun des candidats.
Mais annuler la visite du président de l'Ukraine à Berlin aurait été un comble d'impolitesse et aurait fait le jeu de Zelensky ce que Merkel ne pouvait pas supporter. Le résultat concret de la visite a été la déclaration de Porochenko sur la préparation à la trêve de Pâques dans le Donbass du 18 avril, «si cela est soutenu par la Russie». A cette date, une vidéoconférence du groupe de contact était précédemment programmée. Mais avant la visite du président ukrainien à Berlin, à Kiev, cette trêve n'avait pas été exprimée publiquement (contrairement à l'OSCE et à l'autre partie au conflit).
En ce qui concerne le soutien électoral lui-même, le fait même de la visite et les propos de Merkel au sujet du succès de l’Ukraine dans divers domaines lors de la conférence de presse finale (d’ailleurs, lors de la précédente visite de Porochenko à Berlin, les parties ont souvent organisé des briefings qui n’ont pas suscités de questions auprès des journalistes). Mais le soutien de la chancelière n'a pas rejoué. Il s'agissait des réalisations du pays, pas du président personnellement, comme ce fut le cas avec Volker une semaine plus tôt.
D'autre part, il est faux de parler d'une escarmouche publique entre les dirigeants à propos du "Northern Stream-2". Lors de leurs interventions pendant la conférence de presse, ils ont évité ce sujet et n'ont eu à parler que d'une question posée par la Süddeutsche-Zeitung. Mais Porochenko et Merkel ont, de la manière la plus juste possible, ensuite exposé leurs positions antérieures : le partenariat stratégique n'implique pas une unanimité totale et Berlin soutient le rôle de l'Ukraine en tant qu'État de transit.
Pour tout le reste, tout d’abord, la situation dans le Donbass, vous pourrez alors porter votre attention sur les discours plus militants du président ukrainien que la chancelière allemande, mais ce fait ne doit pas être absolu. En outre, les recherches antérieures sur les différences d'intonations de Berlin et de Kiev ont abouti plus d'une fois à des conclusions erronées sur le fait que les Allemands poussaient l'Ukraine vers un règlement politique. Ce qui est beaucoup plus important c’est que Merkel a nommé à deux reprises le Donbass « non contrôlé » comme occupé ce qu’elle n’avait pas dit lors des réunions avec Porochenko auparavant.
Mais un autre dirigeant du Format Normandie, Emmanuel Macron, a reçu Zelensky et Porochenko le 12 avril. Zelensky, le candidat en tête, a été reçu en premier. En ce qui concerne les réunions elles-mêmes, les participants n'ont pas rencontré des journalistes et le communiqué de presse du Palais de l'Elysée et les déclarations des deux candidats ukrainiens ne furent que très informatives. Ils ont, comme prévu, principalement parlé du conflit dans le Donbass. On apprend que Zelensky a également noté le sens de l'humour du président français.
Je pense que leur histoire précédente est plus intéressante que les réunions elles-mêmes. Elles ne furent connues que le 9 avril. À Paris, ils calculèrent l’inévitabilité de la victoire de Zelensky et décidèrent que cela valait la peine maintenant de lui tendre la main. Après tout, ils ont peur en Occident que le nouveau président ukrainien entame soudainement des négociations en tête-à-tête avec Poutine et fasse des concessions.
Dans le même temps, l’invitation soudaine de Porochenko à Berlin entre les deux rounds devrait objectivement agir sur de tels soupçons car qu'est-ce-qu'il se passerait si Zelensky n’était pas seulement offensé, mais son ressentiment deviendrait une méfiance envers le Format Normandie. Ils ont, donc, décidé au Palais de l'Elysée d'empêcher un tel scénario. Mais pour ignorer Porochenko et en même temps donner ainsi une raison de parler de divergences avec Merkel il ne pouvait pas , naturellement, décider de rencontrer les deux candidats le même jour, mais Zelensky était toujours rencontré en premier. Cependant le pompon revient à la présidence française par le fait que le communiqué de presse publié sur le site Web du président de la République française ne concernait que la rencontre avec Porochenko.
Qui a incité Macron à prendre une telle décision ? Ici, nous devrions prêter attention à la parution du 8 avril dans le Wall Street Journal (c’est-à-dire la veille de l'annonce de la visite de Zelensky à Paris) à l'article de Bernard Henri Levy intitulé « le comique contre l'héros de l'Ukraine » (Source : https://news.rambler.ru/other/41999677-the-wall-street-journal-ssha-komik-protiv-geroya-ukrainy/ )
L'intellectuel européen le plus célèbre et le plus classique de la russophobie moderne était rempli de sympathie pour Porochenko il y a plus de cinq ans. Dans cet article, il parle de lui d'une manière si exquise et enthousiaste qu'il laisse loin derrière lui la "poudre" ukrainienne. Mais contrairement à la poudre à canon, Henri-Levy parle respectueusement du leader de la course à la présidence qu'il a rencontré à la veille du jour des élections. Il admet que "Vladimir Zelensky n'est pas une caricature de lui-même et probablement pas le populiste que j'ai critiqué la veille, parlant à l'université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev."
Dans la même publication, l'article contient les mots de Zelensky lui-même: ''Mais j'admire Emmanuel Macron. Merci de lui dire ! Cela ne me dérange pas de faire une pause entre deux visites et d'aller voir la Tour Eiffel. "
Voilà, Henri-Levy est connu pour avoir été le soutien public du président français lors de la campagne électorale de 2017. Lors de la confrontation avec les "vestes jaunes", Macron pourrait bien sûr passer sur le fait que Zelensky mérite de voir non seulement la Tour Eiffel, comme tout touriste, mais aussi le palais de l'Elysée de l'intérieur. Voilà que le favori des élections ukrainiennes, après avoir visité ce palais, a appelé le président français comme étant "le chef de file de l'Europe unie" ce qui correspond exactement aux caractéristiques données à Macron par Henri-Levy.
Mais l'intellectuel français, concentré sur la lutte avec la Russie et Poutine, pourrait bien entendu faire pression sur la rencontre Zelensky-Macron. Mais ce n'est qu'après s'être assuré que le candidat ukrainien veuille sans aucun doute s'opposer à Moscou et qu'il ne reste plus qu'à le renforcer dans cette volonté.
En fait, la rencontre du président ukrainien avec Merkel et les réactions à son sujet de la part de Volker contribuent à renforcer ce désir. Après tout, ils jouent objectivement son soutien non seulement à Porochenko mais aussi lance un signal adressé à Zelensky. ''S’il poursuit le cap du gouvernement actuel, principalement en matière de politique étrangère, il ne sera pas laissé sans soutien''.
Et en s'appuyant sur l'Occident un vainqueur évident des élections a besoin de plus que le président actuel. Après tout, ses relations avec la convocation actuelle du parlement ukrainien ne sont pas claires. Malgré les résultats du premier tour, il n’y a toujours pas de réalignement des forces et l’union en faveur de Zelensky ne comprend qu’un seul député. Il ne sait pas non plus s'il peut convertir le succès actuel en résultat escompté lors des prochaines élections législatives dans six mois.
En conséquence, on ne peut s'attendre à un changement de la situation dans le Donbass de la part de Zelensky que si l'Occident commence soudainement à voir clairement et décide que la mise en œuvre des accords de Minsk nécessite des actions urgentes de Kiev.