La Cour de justice européenne a confirmé dans son arrêt du 29 juillet que les centrales nucléaires dangereuses en Belgique peuvent reprendre du service si le pays manque de courant http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=1108 . Francis Leboutte, ingénieur civil et président de l'ASBL Fin du nucléaire, s'exprime dans un entretien pour Observateur Continental sur l'absence d'une volonté pour protéger les populations face au danger d'un accident nucléaire.
Pourquoi personne ne parle réellement du danger des cinq réacteurs belges?
L'avis de la Cour de justice européenne donne des considérations techniques, légales, administratives mais la question des risques n'est pas abordée directement. On prolonge la durée de vie des réacteurs non pas sur des bases techniques mais sur des questions économiques.
Y-a-t-il une menace pour l'alimentation en courant?
C'est là où le bât blesse. La CREG (Commission de régulation de l'électricité et du gaz) avait déclaré que les réacteurs Doel 1 et Doel 2 n'étaient pas nécessaires pour assurer l'approvisionnement de la Belgique.
Comment le gouvernement belge aurait dû procéder?
Quand on a prolongé tous les réacteurs de 30 à 40 ans par la loi de 2003, on aurait déjà dû avoir une consultation populaire et internationale en raison de la proximité d'autres pays. A l'époque, le pouvoir politique est passé outre et n'a pas du tout respecté les conventions d’Espoo et d’Aarhus qui sont invoquées dans la plainte actuelle. Avec les prolongations de 40 à 50 ans des réacteurs Doel 1 et Doel 2, tout comme pour le réacteur numéro 1 de Tihange 2 ans auparavant, on assiste à un nouvel abus de pouvoir du gouvernement qui décide de prendre tous les risques pour les citoyens en faisant complètement fi des conventions internationales.
Avons-nous un danger d'explosion en Belgique?
On peut craindre un accident. Le scénario que nous pouvons craindre ici, ce qui est vrai pour tous les réacteurs d'un certain âge, c'est l'usure de la cuve. Cet acier des cuves subit un bombardement neutronique qui vient de la réaction de fission qui modifie fortement les propriétés mécaniques de l'acier des cuves. Quand on a construit ces réacteurs, on les a dimensionnés en prévision de cette usure mais normalement après trente ans, on aurait dû les arrêter si on s'intéressait un peu plus à l'intérêt des citoyens et à la sûreté. Leur justification n'est pas sérieuse.
Pourquoi leur justification n'est pas sérieuse?
Le gouvernement se réfugie toujours derrière l'AFCN (Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire belge) l'équivalent de l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire) en France, derrière un avis soi-disant scientifique et impartial alors que la décision est essentiellement politique. L'AFCN n'est pas un organisme indépendant. Il est d'abord directement financé par les opérateurs comme Electrabel. Environ 80% de leur budget provient directement d'Electrabel. Si ils décidaient de fermer deux réacteurs, cela ferait de ce fait une partie de leur budget en moins. Ils se sont totalement discrédités quand il y a eu toute cette saga autour des deux réacteurs fissurés Tihange 2 et Doel 3 dont les cuves présentent des milliers de fissures : 3000 à Tihange 2 et plus de 10.000 à Doel 3.
L'AFCN écrit que «les microbulles d'hydrogène dans les parois de la cuve du réacteur n'ont pas d'impact sur les structures en acier et n'évoluent pas avec le temps». Est-ce crédible?
Justement, ce n'est pas crédible. L'évolution avec le temps cela reste à prendre avec des pincettes. Le changement du nombre de ces microfissures, ils l'ont attribué au fait que les appareils de mesure étaient des appareils expérimentaux ce qui est assez paradoxal et surréaliste même d'imaginer que pour ce genre de chose on dépend de techniques expérimentales. Ils se sont totalement discrédités quand l'agence américaine de sûreté nucléaire (NCR) a dit qu'un réacteur neuf avec ce genre de défaut n'aurait n'aurait pas eu l'autorisation de démarrer alors que nous parlons de réacteurs de plus de trente ans en Belgique. Ce qui est vrai pour un réacteur neuf devrait forcément l'être pour un réacteur de plus de trente ans car un réacteur de plus de trente ans est épuisé. C'est encore plus risible quand un secrétaire d'Etat luxembourgeois a posé la question au directeur de l'AFCN afin de savoir si un réacteur neuf avec ce défaut là aurait été autorisé de démarrer car le directeur en personne de l'AFCN a répondu par la négative. Donc, comment peut-on interpréter ça? Sinon que l'AFCN est aux ordres du politique qui lui-même fait plaisir aux actionnaires d'Engie. C'est la seule interprétation que nous pouvons avoir. Le risque, qui est prit de cette façon là pour le citoyen, tout le monde s'en fout.