04.06.2024
La Turquie a besoin d'une nouvelle Constitution. C'est ce qu'a de nouveau déclaré le président du pays, Recep Tayyip Erdogan. Sa principale critique à l'égard de la Constitution actuelle est qu'elle a été rédigée à la suite du coup d'État militaire de 1980.
Toutes les Constitutions de la Turquie, à l'exception de celles adoptées en 1921 et 1924, "ont été écrites sous la direction de tuteurs et imposées au peuple". Erdogan veut dire par là que la législation de la république a été façonnée sous la pression de l'Otan (États-Unis) et des généraux rebelles soutenus par eux, qui ont renversé des dirigeants laïques et religieux.
Pour Erdogan, les Constitutions rédigées par les putschistes sont un rappel des coups d'État, dont il a une peur extrême. Le problème ne réside même pas dans le contenu, mais bien dans les auteurs des documents.
La Constitution à laquelle fait référence le président a porté atteinte à la carrière politique du mentor d'Erdogan, Necmettin Erbakan. La loi fondamentale, rédigée par les militaires après le coup d'État de 1980, avait interdit à Erbakan, fondateur de l'islam politique en Turquie, de se livrer à toute activité politique.
Les forces de l'ordre ont également porté atteinte à l'étoile montante de la politique turque de l'époque, Erdogan. Ayant rejoint le Parti de la prospérité (Refah) en 1994, le futur président a remporté les élections municipales à Istanbul, mais trois ans plus tard, il a été arrêté pour avoir récité un poème religieux et emprisonné pendant quatre mois pour "incitation à la haine religieuse".
Erdogan a retenu la leçon: dans un pays laïque, il est dangereux de miser sur l'islam politique. Il a donc créé le Parti de la justice et du développement (AKP) plus modéré et a remporté les élections législatives de 2002.
Flexible et habile à se fondre dans le paysage politique, Erdogan n'a jamais renoncé à ses convictions. Au fur et à mesure que le pouvoir de l'AKP se renforçait, il a commencé à introduire progressivement des valeurs islamiques dans la société et la politique turques.
La tentative de coup d'État de 2016 n'a fait que renforcer la conviction d'Erdogan de la nécessité de modifier la Constitution. Dans un discours prononcé fin mai 2024, le président a également évoqué le putsch de 1960, lorsque les militaires ont renversé et exécuté un autre de ses modèles politiques, Adnan Menderes.
Outre son ressentiment personnel, un autre motif de changement constitutionnel est le désir de renforcer son pouvoir personnel. Erdogan a déjà tenté cela une fois. En 2017, par référendum, il a transformé le pays d'une république parlementaire en une république présidentielle avec de larges pouvoirs pour le chef de l'État. Le pouvoir exécutif est entièrement passé entre les mains du président, le poste de Premier ministre a été supprimé.
Le président a obtenu le droit d'initiative législative, de dissoudre le parlement, d'imposer ou de lever l'état d'urgence, ainsi qu'une série d'autres pouvoirs. À l'époque, Erdogan cherchait à sécuriser son pouvoir. Aujourd'hui, il pense à deux choses: prolonger son règne et créer un nouveau système politique semblable à celui laissé par Mustafa Kemal Atatürk, qu'il déteste.
Les voies possibles pour renforcer le pouvoir incluent l'extension des pouvoirs du président (par exemple, Erdogan a récemment obtenu le droit de déclarer l'état d'urgence de manière autonome) et la modification des procédures électorales.
L'année dernière, Erdogan a évoqué la possibilité de modifier le système de comptage des voix lors des élections présidentielles. Selon le schéma proposé, le président serait élu non pas avec 50% + une voix, mais avec 40% + une voix. Erdogan est convaincu que ce nouveau système permettrait d'accélérer et de simplifier le processus électoral.
Il n'est pas encore tout à fait clair à quoi ressemblera la Constitution turque si elle est adoptée. Il n'est possible de tirer certaines conclusions qu'à partir des déclarations d'Erdogan lui-même.
Il a notamment déclaré que le nouveau document fondamental devait être "inclusif et libéral, rédigé par des civils". Le libéralisme et Erdogan ne sont pas très compatibles, mais peut-être le président fait allusion à la volonté de libérer la société de l'emprise des régimes militaires.
L'inclusivité signifie généralement une plus grande implication de la société civile et des citoyens dans le processus politique, un rejet de l'élitisme. Erdogan en a également parlé ouvertement.
Le message principal du président réside dans l'expression "Constitution rédigée par des civils". Erdogan indique ainsi son objectif d'exclure de la gestion politique les militaires capables de nouveaux coups d'État.
Pour donner une apparence démocratique au processus, Erdogan appelle tous les partis du pays au dialogue. En premier lieu, il s'intéresse au plus puissant des partis d'opposition, le Parti républicain du peuple. Après sa défaite aux dernières élections présidentielle et législatives, ce parti a changé de leader.
Chaque force politique en Turquie a sa propre vision des changements constitutionnels nécessaires.
Il ne faut pas oublier que le mécanisme de modification de la Constitution peut être déclenché par le parlement. Pour soumettre un amendement au référendum, le soutien de 360 députés est nécessaire, et il faut 400 voix pour modifier la Constitution. La coalition d'Erdogan compte 265 députés, des accords avec d'autres partis sont donc indispensables.
Cependant, les positions des partis politiques du pays ne sont pas si importantes pour Erdogan. Il a déjà clairement indiqué qu'il avait l'intention de changer la Constitution, c'est sa priorité.
Sever Uzun
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