Roger M'Gbama, responsable du Groupe Afrique Subsaharienne de l'IPSE, explique à Observateur Continental dans un entretien que les Etats-Unis n'ont pas l'objectif de remplacer le rôle de la France au Tchad alors que de nombreux éléments pourraient laisser penser à la mise en place de cette stratégie.
Peut-on parler d'une interférence des Etats-Unis sur la France quand l'ambassade américaine basée à N'Djaména enjoint dans un tweet le Tchad d'autoriser «sans délai» les partis politiques interdits et de respecter les droits des citoyens à se rassembler, même lorsque le but du rassemblement est de critiquer le régime et d'inciter les citoyens à voter contre le parti au pouvoir?
D'abord cela n'est pas une interférence des Etats-Unis dans le rapport entre la France et le Tchad. C'est plutôt un rapport diplomatique direct entre les Etats-Unis et le Tchad. Les Etats-Unis veillent à leur image dans le monde. Ils veulent être partout présents là où se déroulent des événements qui peuvent prendre une importance dans les changements ou dans les évolutions qui peuvent se mettre en place.
Avons-nous une interférence des Etats-Unis par l'emploi de groupes djihadistes ou de groupes ethniques comme les Kurdes en Syrie?
Cela est une autre dimension. C'est tout ce que nous pouvons reprocher aux puissances internationales qui veulent préserver leurs intérêts dans les régions et pays. C'est le cas notamment dans les pays où il y a des matières premières, des points stratégiques pour leur économie, pour leur puissance. C'est dans ce cadre là qu'il faut considérer les interventions directes par la présence aérienne ou indirectes par la vente des armes aussi comme en Syrie ou au Yemen. Ils veulent être présents partout. Donald Trump a aussi envoyé ses forces militaires au large de la Corée du Nord. En Afghanistan, les Etats-Unis ont largué la «mère de toutes les bombes» car ils ont besoin de montrer sur tous les lieux leur présence où leurs intérêts sont en jeu. Les Etats-Unis montrent ainsi leur suprématie dans l'ordre mondial actuel.
Quand on voit l'activité américaine dans la région du Sahel, ne peut-on pas dire que les Etats-Unis seraient en train de mettre une politique stratégique pour retirer la France du Tchad?
Non, je ne peux pas le dire comme ça. Il y a toujours une concurrence entre les puissances que cela soit entre les Américains ou les Français et quelque soit la région. Chacun joue pour ses intérêts. On sait que dans la région du Sahel aujourd'hui ce qui intéresse les Américains c'est la lutte contre le terrorisme. Ils mettent en place des coopérations avec les Etats de la région pour pouvoir combattre les terroristes mais aussi bien sûr pour asseoir leur influence dans la région. Je pense que cela reste «de bonne guerre» entre les grandes puissances. L'intervention des Etats-Unis n'est pas essentiellement là pour faire partir les Français. C'est mon analyse.
Est-ce-que ce tweet de l'ambassade américaine ne serait pas un soutien direct à des opposants comme Timan Erdimi ou au parti des Transformateurs de Succès Masra?
Je pense qu'il faut relativiser tout ça. Au fond, les Etats-Unis sont l'essence de la démocratie. Ils veulent promouvoir la démocratie partout. Les intérêts militaires, diplomatiques, économiques, des Etats-Unis sont en jeu. Le pouvoir au Tchad est un pouvoir autoritaire car il connaît des situations extrêmement difficiles dans le secteur économique, militaire avec la présence de Boko Haram dans le nord du Tchad et social avec de nombreuses manifestations tendues organisées par les syndicats, les magistrats, des enseignants, des étudiants. Il y a une opposition comme le parti des Réformateurs, fondé en 2018, et qui n'est pas encore régularisé. Celui-ci a voulu passer outre l'interdiction de l'Etat de se réunir. La présence diplomatique de représentants occidentaux dans la réunion des Transformateurs a été une bonne chose même si ils ont été dispersés par l'emploi de gaz lacrymogène. Les Etats-Unis et l'UE ont publié un communiqué pour demander au pouvoir de lâcher un peu prise pour que les droits fondamentaux des populations soient respectés. C'est une bonne chose. Le pouvoir doit laisser les populations un peu respirer. Je ne vois pas une expression de vouloir remplacer la France.