En l'absence d'une solution pour la province syrienne d'Idlib, cette dernière pourrait se transformer en califat d'Al-Qaïda, estime Karin Leukefeld, observatrice internationale allemande.
Idlib saigne. Les islamistes radicaux, qui ont perdu la Guerre en Syrie, tentent de maintenir leur pouvoir dans cette province au Nord-Ouest du pays au prix des vies des civils. En fait, il s'agit du dernier obstacle à la paix dans le pays.
L'envoyé spécial du président américain auprès de la coalition internationale anti-Daech Brett McGurk a noté il y a trois ans déjà en présentant son rapport à l'Institut américain pour la politique au Moyen-Orient: "Idlib est le plus grand repaire d'Al-Qaïda. Il se trouve à la frontière avec la Turquie et il faut en parler avec Ankara."
Brett McGurk avait tout aussi raison qu'il ne mentait: il savait parfaitement comment les djihadistes s'étaient retrouvés à Idlib. Tout a commencé en 2011 par des attentats d'Al-Qaïda contre les forces gouvernementales syriennes qui défendaient le nord de la province près de Jisr al-Chougour. La frontière turco-syrienne n'existait à l'époque que sur le papier. En réalité, elle comportait de nombreuses "brèches". Avec des passages incontrôlés un peu partout. Le plus grand d'entre eux se trouvait près de la ville turque frontalière de Reyhanli. Avec le temps elle s'est transformée en un véritable camp de transit par lequel des combattants du monde entier pénétraient en Syrie. Les armes étaient acheminées via les ports de la province turque Hatay.
Les Etats-Unis ont rejoint la partie un peu plus tard, en 2012. Cela s'est produit dans le cadre de l'opération de la CIA Timber Sycamore (Bois de Sycomore). Avec le soutien des renseignements saoudiens, émiratis, qataris et jordaniens les Américains envoyaient illégalement des instructeurs militaires, des équipements et de l'argent en Syrie. En 2013, en allant notamment dans le sens de Tel Aviv, Washington a donné le feu vert pour la fourniture d'armes à plusieurs milliers de combattants islamistes. Ces derniers avaient pour mission de renverser le gouvernement syrien.
Les médias occidentaux qualifiaient ces combattants de "rebelles", même si tout le monde savait: il s'agissait de coupe-jarrets qui avaient l'intention de transformer la Syrie en Etat théocratique. Ils ont installé leur camp d'entraînement au sud d'Idlib, entre le mont Zawiya et la ville de Maarrat al-Nouman. De là les djihadistes pénétraient dans d'autres régions syriennes.
En 2014-2015, les islamistes, disposant des armes de dernier cri allant jusqu'aux missiles antichars, menaient une offensive acharnée contre la capitale de la province – la ville d'Idlib, qui était alors contrôlée par l'armée gouvernementale syrienne. Les forces syriennes ont essuyé des pertes et ont reculé.
Après la chute du centre administratif de la province, des milliers de combattants du groupe islamiste Armée de la conquête (Jaych al-Fatah), avec le soutien de la Turquie et des pays du Golfe, ont poursuivi l'offensive en direction d'Alep, mais au prix de nombreuses pertes ont été stoppés par l'armée syrienne. Le tournant de la guerre s'est opéré fin 2016 avec la libération totale d'Alep. Les unités disparates de combattants sont revenues à Idlib, où se regroupaient ceux qui avaient survécu – les mercenaires étrangers et les djihadistes locaux en tout genre d'Al-Qaïda et du Front al-Nosra.
Pendant ce temps, un nouveau drame sanglant s'est produit à Idlib même – l'affrontement entre les différents groupes pour le pouvoir. L'"opposition syrienne modérée", étroitement liée avec la Turquie et les pays du Golfe, a commencé à créer ses propres structures politiques – un "gouvernement de salut", des services de sécurité, la police. Les "modérés" ont décidé de mettre en place un nouveau système administratif afin de faire éclater le pays et à terme séparer Idlib de la Syrie. De leur côté, les djihadistes du Front al-Nosra, qui avait été renommé en Hayat Tahrir al-Cham, ont estimé que le nouveau territoire devait se trouver sous leur contrôle. Personne ne voulait partager le pouvoir.
Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont adopté une position d'attente. Quant à la Syrie, depuis l'été 2018 ses forces gouvernementales planifiaient une opération pour libérer Idlib, mais les appels de l'Occident à "empêcher une catastrophe humanitaire" ont poussé le président syrien Bachar al-Assad à reporter l'offensive. Or le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a laissé entendre ce que l'Europe craignait réellement. De nombreux combattants d'Idlib possèdent la citoyenneté de pays européens. En cas d'opération militaire ils flueraient chez eux en créant une menace pour tout le continent. Dans ce sens, le chef de la diplomatie française a entièrement confirmé les propos de Brett McGurk: Idlib est effectivement devenu le repaire des forces internationales d'Al-Qaïda.
Il est évident que le problème d'Idlib nécessite une solution sans plus attendre. Par ailleurs, la situation s'aggrave. Les deux camps se préparent déjà pour l'offensive – l'armée syrienne contre les terroristes retranchés à Idlib, et les terroristes contre les positions des forces gouvernementales. Tant que ce problème ne sera pas réglé, Idlib conservera son statut de nouveau repaire des terroristes, et la Syrie restera en état de guerre.