Février 2020 a marqué une période ratée pour la politique syrienne de la Turquie. La puissante offensive de l'armée syrienne dans la province d'Idlib s'est soldée par la reprise pratiquement de la moitié du territoire de la province et par l'établissement du contrôle sur l'autoroute internationale Damas-Alep.
Au moins quatre grands postes d'observation turcs se sont retrouvés en profondeur dans les régions contrôlées par les Syriens.
La contrattaque des forces gouvernementales à l'ouest et au sud de la province d'Alep a repoussé l'ennemi à une distance qui ne lui permet plus de bombarder avec l'artillerie les quartiers résidentiels de la capitale administrative. Depuis le nord-est l'armée tient fermement ses positions et broie progressivement les effectifs des extrémistes musulmans.
Le QG turc renforce d'urgence son contingent dans la province d'Idlib en effectifs et en matériel, en créant de nouveaux avant-postes. Selon le renseignement syrien, au 24 février, sur le territoire de la "zone de désescalade d'Idlib" resté sous le contrôle des troupes turques 36 avant-postes renforcés ont été déployés. 7.500 hommes, près de 100 chars, 80 canons d'artillerie et plus de 200 véhicules blindés ont été projetés dans cette zone. Environ 3.000 convois de matériel, de munitions et d'autres moyens militaires ont traversé la frontière syrienne.
Les cas d'affrontements de plus en plus fréquents entre les armées turque et syrienne, où les deux camps essuient des pertes, deviennent un facteur menaçant. 16 militaires turcs ont déjà été tués.
A l'ultimatum fixé par Recep Erdogan, exigeant du commandement syrien de retirer les unités hors de la "zone d'Idlib", les Syriens réagissent par la préparation d'une nouvelle offensive contre l'ennemi afin d'établir le contrôle total sur l'autoroute entre Alep et Lattaquié, maîtriser le grand avant-poste de Jisr al-Choghour. Ankara menace de lancer une véritable opération militaire contre les forces gouvernementales à l'expiration de l'ultimatum en février.
Moscou a assez fermement réagi aux déclarations et aux actions d'Ankara, en disant qu'une éventuelle opération militaire serait "le pire scénario" en Syrie. Une mesure supplémentaire pour ramener les Turcs sur terre a été d'envoyer l'aviation russe, qui a lancé depuis une semaine deux puissances frappes contre les positions des terroristes dans la province d'Alep et devant un convoi de troupes turques qui étaient sur le départ à Idlib.
Trois cycles de négociations russo-turques au niveau des missions militaro-diplomatiques n'ont donné aucun résultat. Les interlocuteurs ont divergé dans leur vision de la situation dans la zone du conflit et des actions à engager pour son règlement définitif.
Recep Erdogan s'est entretenu avec son homologue français Emmanuel Macron et avec la chancelière allemande Angela Merkel dans l'espoir de s'assurer leur soutien contre la position de la Russie et en cas d'actions militaires contre la Syrie. Mais en vain.
Le 21 février, le dirigeant turc a parlé au président russe Vladimir Poutine. A en juger par la déclaration sèche de Moscou, ce dialogue n'a pas non plus donné satisfaction à Recep Erdogan: le soutien ouvert des troupes extrémistes et de l'opposition syrienne par la Turquie va à l'encontre de tous les accords d'Astana et de Sotchi, et le renforcement significatif de la présence militaire au nord-est de la Syrie crée une menace réelle d'élargissement du conflit. Cela a été visiblement dit franchement au président turc.
En ce qui concerne la proposition de la Turquie d'organiser début mars des négociations quadrilatérales au sommet, leur perspective reste floue. Le ministère russe des Affaires étrangères s'est contenté d'un commentaire formel qu'il étudierait la proposition turque. Ce qui peut signifier l'inutilité d'une telle réunion à cause des contradictions radicales insurmontables entre Ankara et Moscou.
La situation de Recep Erdogan est comparable à un balancement entre l'enclume et le marteau. La rhétorique belliqueuse envers les autorités syriennes (comprendre la Russie) ne suscite pas une inquiétude hystérique à Damas ou à Moscou, et n'est pas très populaire en Turquie même, par conséquent elle ne fait que réduire progressivement son autorité personnelle et celle du parti de la justice et du développement au pouvoir.
Recep Erdogan a besoin de sortir dignement de cette impasse. Et Vladimir Poutine est le seul à pouvoir aider son homologue turc. Comme toujours, sur la base d'une sincère confiance et du respect.
Sans cela, toutes négociations seraient vaines.