La question principale de l'élection présidentielle aux Etats-Unis n'est pas de savoir qui gagnera, Joe Biden ou Donald Trump, mais comment évoluera la situation entre le vote du 3 novembre et l'investiture du 20 janvier.
Il existe deux scénarios principaux: catastrophe, qui est peu plausible mais sa probabilité n'est pas nulle, et plus réaliste, mais également critique.
Quatre facteurs prêtent à penser que le scénario habituel et paisible de l'évolution de la situation est peu probable. Premièrement, c'est une polarisation politique sans précédent. Nombre de démocrates pensent sincèrement que si Donald Trump était réélu, cela signifierait la fin de la démocratie en Amérique. Alors que les républicains pensent que l'arrivée à la Maison blanche de Joe Biden, derrière lequel se trouverait l'extrême-gauche, symboliserait la fin de l'Amérique même.
Deuxièmement, c'est un grand retour, pour la première fois depuis 1968, de la politique dans les rues. Les troubles et les manifestations contre le racisme et l'arbitraire de la police s'accompagnent d'émeutes dans plusieurs villes.
Troisièmement, un facteur capable de déclencher une brusque déstabilisation en novembre s'est cristallisé: en cas d'une nouvelle répartition pratiquement égale des voix, le perdant ne reconnaîtra pas sa défaite. Un tel risque est survenu en 2000 quand George W. Bush s'est imposé face à Al Gore, avec seulement 537 voix d'avance en Floride. A l'époque, les élites politiques ressentant la responsabilité pour le sort du pays ont réglé leurs différends au tribunal, et le résultat des élections s'est décidé à la Cour suprême. Mais en 2000 la polarisation n'était pas aussi forte qu'aujourd'hui, et la situation dans les rues était calme. Alors que maintenant Hillary Clinton toujours influente conseille à Joe Biden de "ne pas reconnaître la défaite en aucune circonstance", alors que Donald Trump parle d'éventuelles falsifications massives à deux moins du vote.
Il n'est pas exclu que les deux candidats proclament leur victoire.
Plusieurs pays avec une jeune démocratie ont traversé de graves crises dans ces circonstances précises: quand les partis concurrents sont absolument irréconciliables et obtiennent un nombre approximativement égal de voix, ils commencent à s'accuser mutuellement de fraudes, ce qui est suivi par une grande mobilisation des partisans dégénérant en émeutes et en violences politiques. Quelque chose de similaire s'est produit en Amérique en 1860: les démocrates du Sud n'ont pas reconnu la victoire du républicain Abraham Lincoln, ce qui a provoqué une guerre civile.
Cette fois, le scénario catastrophe pourrait commencer par l'annonce des premiers résultats du vote dans les Etats hésitants en faveur de Donald Trump, qui annoncerait le jour même sa victoire. Les votes par la poste, dont les résultats seront annoncés plus tard, apporteront certainement des changements majeurs, car parmi ceux qui ont l'intention de voter à distance entre 60 et 70% sont des démocrates. Auparavant le vote par la poste était une exception, mais au vu de la pandémie de coronavirus il est attendu que des millions d'électeurs optent pour le vote à distance.
La polarisation couplée aux manifestations et à la méfiance quant à l'honnêteté des élections garantit pratiquement qu'en novembre les institutions de la démocratie américaine seront mises à l'épreuve dans le cadre de la crise.
Mais il existe également un quatrième facteur "dormant" qui pourrait entraîner une catastrophe dans des conditions défavorables. 400 millions d'armes à feu circulent aux Etats-Unis, et entre mars et août tous les records de nouvelles ventes ont été battus: près de 20 millions (contre 14 millions pour toute l'année 2019). Le chaos dans les rues et la paralysie des organes de pouvoir dans ces conditions remettent en question la structure étatique en soi.
Donald Trump et Joe Biden ont ensemble 151 ans. Le pays a besoin de nouvelles idées et de nouveaux dirigeants capables de sacrifier leurs intérêts politiques au profit des intérêts nationaux, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Igor Zevelev, Global Fellow, Kennan Institute
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