Christopher Coonen, secrétaire général de Geopragma, nous explique que la 5G n’est pas plus nocive que la 4G d'après les études de l’ANSES et de l’IGAS et met en garde la France qui est en train de prendre du retard sur cette technologie qui est une «course aux armements» pour les pays qui la possèdent. Observateur Continental reprend l'essentiel de son billet.
La 5G – la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile – revêt un double enjeu de souveraineté pour la France: son déploiement dans l’Hexagone et notre capacité d’autonomie technologique et industrielle, afin de conquérir des parts de marché au niveau mondial face aux géants chinois et américains. Un enjeu tant économique qu’il est naturellement géopolitique, car les deux sujets ont toujours été intrinsèquement liés. Avec la 5G, le débit de données sera 10 à 100 fois plus puissant qu’avec la 4G. Au-delà des calculs et des quantités de débit, il existe un calcul de pouvoir et d’influence qui devrait intéresser au plus haut point tous les dirigeants politiques, militaires, d’entreprises et du renseignement. En effet, contrairement à la 4G, les données ne seront plus uniquement transportées d’un point A vers un point B, mais seront bien interactives dans tous les sens et depuis de multiples sources, rendant la gestion des villes connectées, l’utilisation de voitures autonomes ou encore de drones civils et militaires bien plus efficace et avec des réactions en contexte et en temps infiniment réel. C’en sera fini de la «latence technologique».
Les grandes manœuvres ont débuté pour l’attribution des licences et le déploiement de la 5G à l’échelle mondiale, ainsi que les appels d’offre organisés pour la construction de ce réseau révolutionnaire qui comprendra des «backbones» de fibre optique terriens et sous-marins, des routeurs et des réseaux du dernier kilomètre. Les entreprises, qui les installeront, auront à gérer leur part de réseau et les données y transitant. Face à ces enjeux de souveraineté colossaux, l’Europe se retrouve de nouveau coincée entre les Etats-Unis et la Chine – et leurs acteurs publics et privés – dans un rôle de suiveur.
Dans ce combat mondial où la taille et les économies d’échelle sont primordiales, le risque pour la France réside dans le fait que nos acteurs européens Ericsson, Nokia et Alcatel – qui tous trois possèdent des parts de marché minoritaires aujourd’hui – soient complètement distancés par les trois mastodontes Cisco (US), ZTE et Huawei (Chine). Contre ce dernier, les Etats-Unis mènent une campagne de pressions notamment envers les opérateurs télécoms en Europe, ainsi qu’envers nos gouvernements pour sortir Huawei de cette «course aux armements» du XXIème siècle d’un nouveau genre.
Cette posture du gouvernement américain est imprégnée d’une hypocrisie sans vergogne. Dans cette affaire de capacités exponentielles dans le routage et le stockage de données, il existe aussi un angle «NSA» (National Security Agency), les «Grandes Oreilles» de notre grand allié qui sont allées jusqu’à épier les téléphones mobiles de chefs d’Etat «amis». Enfin, pire pour l’Europe, elle est loin sur son propre territoire de reconstruire et même simplement de rénover son propre réseau avec les seuls acteurs nordiques et français. Alors que les puissances mondiales et bien d’autres pays ont entamé le déploiement de la 5G (Chine, Etats-Unis, Corée du sud, etc.), la France est l’une des lanternes rouges de l’Europe. Un lancement commercial à grande échelle a déjà été réalisé en Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Hongrie, Italie, au Royaume-Uni, et en Suisse. Nous avons pris beaucoup de retard: le gouvernement français ne lancera les enchères des fréquences que cette semaine! ce qui induira un début de déploiement à la mi-2021 au plus tôt.
Un frein supplémentaire émerge dans notre pays au travers d’un débat ubuesque sur la décision du déploiement ou non dans l’Hexagone et en outre-mer. Cette révolution technologique est prise en otage par toute une kyrielle d’ONG et d’élus écologistes qui argumentent que cette technologie est dangereuse pour la santé, alors même que les études de l’ANSES et de l’IGAS concluent que la 5G n’est pas plus nocive que la 4G. En fait, cette technologie va être motrice dans le combat contre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique. Pour ne prendre qu’un exemple: la gestion des «villes intelligentes». Grâce à sa mise en place dotée de capteurs, elle permettra de gérer le trafic sur la voirie, le chauffage urbain, l’illumination des municipalités ainsi que l’arrosage de leurs parcs et jardins de manière optimale.
Les enjeux de la 5G sont donc considérables. Et pourtant, l’un des champions européens, le finlandais Nokia, a annoncé le 22 juin dernier la suppression en France de 1 233 emplois dans sa filiale Alcatel-Lucent, soit un tiers de ses effectifs, dont 831 à Nozay (Essonne), qui regroupe des fonctions de support. Mais pire, le groupe prévoit de supprimer 402 postes à Lannion (Côtes d’Armor), soit la moitié des effectifs de ce site dédié à la recherche et au développement! Comment être alors à la pointe de l’innovation ou simplement posséder une force de frappe, pour contrecarrer les géants américains et chinois? L’avenir dans ce contexte est clair: les opérateurs téléphoniques français et européens n’auraient alors quasiment que le choix d’adopter la technologie de l’un de ces deux pays.
Source: http://geopragma.fr/la-5g-il-est-urgent-dagir-sur-cet-enjeu-de-souverainete-pour-la-france/