L'Ethiopie s'est retrouvée au seuil d'une guerre civile. Des affrontements ont éclaté à la frontière avec l'Erythrée. Le premier ministre du pays, prix Nobel de la paix, Abiy Ahmed a donné l'ordre de mobiliser les troupes, en accusant le Front de libération du peuple du Tigray (TPLF) d'avoir attaqué une base militaire. La menace d'une guerre dans la Corne de l'Afrique est si grande que des diplomates américains ont même marqué une pause dans les observations de la présidentielle aux Etats-Unis pour appeler à la "désescalade de la situation".
Le gouvernement éthiopien a décrété l'état d'urgence dans le Tigray pendant 6 mois. L'internet et la communication téléphonique y ont été coupés. "Dans la matinée du 4 novembre, le Front de libération du peuple du Tigray a attaqué la base des forces armées de l'Ethiopie dans le Tigray et a tenté de voler l'artillerie et des équipements militaires du commandement du Nord. Le commandement était déployé dans cette région depuis plus de vingt ans pour servir et protéger le peuple du Tigray contre les différentes menaces", stipule le communiqué du premier ministre publié mercredi.
Des victimes sont rapportées parmi les militaires, mais leur nombre exact est inconnu. Le texte indique que le TPLF a "franchi la ligne rouge" après un mois de provocations, et c'est pourquoi "le gouvernement fédéral a dû entrer en conflit", et les forces armes éthiopiennes "ont reçu l'ordre de remplir leur mission pour sauver le pays et la région contre la dérive vers l'instabilité".
De son côté, le TPLF a accusé le gouvernement fédéral d'avoir déployé des troupes afin de "forcer la population du Tigray à se soumettre par la force".
Les autorités régionales ont interdit les déplacements de militaires éthiopiens dans le Tigray en avertissant de "mesures proportionnées" en cas de tout préjudice pour les personnes ou les biens. La chaîne Tigray TV affirme que le commandement du Nord de l'armée éthiopienne est passé du côté du gouvernement du Tigray. Cependant, comme l'a déclaré le bureau du premier ministre éthiopien à Associated Press, ces communiqués "sont faux".
Après le renversement, en 1991, du régime prosoviétique de Mengistu Haile Mariam, le TPLF occupait une place centrale pendant presque 30 ans au sein de la coalition dirigeante Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). En 2019, le TPLF est passé dans l'opposition en critiquant la politique du premier ministre Abiy Ahmed qui avait pris ses fonctions et adopté la ligne de "distanciation de la gouvernance ethnique", en parlant notamment de l'éradication de l'autoritarisme du TPLF.
Après la fin de la guerre de dix ans entre l'Ethiopie et l'Erythrée (ce qui a valu au premier ministre Ahmed le prix Nobel de la paix), dans le Tigray restent jusqu'à 80% de tous les armements lourds du pays.
Le conflit s'est aggravé en Ethiopie sur fond de reprise après une longue interruption des négociations entre Le Caire, Addis-Abeba et Khartoum concernant le barrage de la Renaissance. Rappelons que l'Egypte et le Soudan sont préoccupés par sa construction et craignent l'assèchement du Nil. Depuis quelques mois, l'Erythrée s'est rangée du côté de l'Ethiopie. Son président Isaias Afwerki, qui soutenait auparavant Le Caire, s'est rendu sur le barrage lors de sa visite en Ethiopie.
Fin octobre, le président américain Donald Trump lors de son entretien avec le premier ministre soudanais Abdallah Hamdok a déclaré que dans la situation actuelle autour du barrage l'Egypte pourrait "le faire exploser". Ces déclarations ont suscité la colère d'Addis-Abeba.
La république démocratique fédérale d’Éthiopie se compose de neuf Etats ethniques, ou régions, et de deux mégapoles – Addis-Abeba et Dire Dawa. La région du Tigray d'environ 5 millions d'habitants (5% de la population du pays) se trouve à la frontière entre l'Ethiopie et l'Erythrée. L'ethnie des Tigréens (avec les Tigrés proches) représente la majeure partie de la population de l'Erythrée et c'est une minorité nationale en Ethiopie (un peu plus de 6%). Depuis des décennies le TPLF était soutenu par les Tigréens, soutenait le nationalisme et condamnait l'emprise des Amharas au pouvoir.
Alexandre Lemoine
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