L'élection présidentielle américaine fait partie des sujets les plus discutés au Moyen-Orient. Des experts prédisent que cette région ne sera pas prioritaire pour l'équipe de Joe Biden et se trouvera derrière l'Europe, la région Indopacifique et l'Amérique latine.
Seulement quelques lignes sont consacrées au Moyen-Orient sur le site de campagne de Joe Biden. Il s'agit de promesses devenues traditionnelles de "mettre un terme aux guerres interminables en Afghanistan et au Proche-Orient", de faire rentrer les soldats américains, en se focalisant seulement sur la lutte contre les groupes terroristes Al-Qaïda et Daech. De plus, il est prévu de suspendre le soutien américain "à la guerre menée au Yémen par l'Arabie saoudite", ainsi que de rester fermement attaché à la sécurité d'Israël.
En 1991, Joe Biden s'opposait à la guerre du Golfe, jugeant inadmissible que les Etats-Unis assument le principal fardeau dans le conflit contre l'Irak. En 2002, il a voté pour la résolution du congrès permettant d'utiliser les forces armées contre Bagdad, chose qu'il n'a jamais regrettée. En 2001, en étant président du comité sénatorial pour la politique étrangère, Joe Biden a résolument soutenu l'envoi des forces en Afghanistan, mais en 2009, au poste de vice-président, il s'est opposé à l'extension de la présence militaire américaine dans ce pays. Joe Biden était également opposé à l'intervention de 2011 en Libye.
On s'attend à ce que Washington maintienne la ligne visant à combattre le terrorisme dans les principaux conflits régionaux en Syrie, en Irak et en Libye. En Syrie, les Etats-Unis pourraient renforcer leur soutien aux Kurdes et à l'opposition, accorder davantage d'attention à la démocratie, ce qui pourrait durcir la rhétorique critique envers Damas.
Il convient également de rappeler la position de Michèle Flournoy, qui recevra très certainement le portefeuille de secrétaire à la Défense: l'ingérence militaire des Etats-Unis dans la situation d'un autre pays est admissible seulement si c'est l'unique moyen de détruire une réserve d'armes de destruction massive menaçant Washington.
Le fil rouge de la politique de Donald Trump était la constitution d'une alliance anti-iranienne basée sur le renforcement des relations entre Israël et les monarchies du Golfe. Joe Biden a salué la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes. En même temps, il condamne le penchant flagrant de l'administration Trump du côté des Israéliens et s'oppose dans l'ensemble à toute démarche unilatérale.
Le président élu est partisan du règlement du conflit au Proche-Orient en s'appuyant sur l'approche traditionnelle de la coexistence d'Israël et de la Palestine.
En particulier, il admettait la possibilité de faire pression sur Israël pour mettre en œuvre la solution à deux Etats. On s'attend à ce que le nouveau président rétablisse l'aide humanitaire et économique pour l'administration palestinienne et rouvre la représentation de l'Organisation de libération de la Palestine à Washington, fermée en septembre 2018. Cependant, il est peu probable que la nouvelle administration revienne sur la décision de Donald Trump concernant la reconnaissance de la souveraineté d'Israël sur Jérusalem et le plateau du Golan, et fasse revenir l'ambassade américaine à Tel Aviv.
Israël sait que même si le pays se retrouvait privé d'un soutien inconditionnel de Washington de toutes ses démarches, il n'y aura pas de changements majeurs sur le dossier palestinien – personne ne pourra forcer les Israéliens à signer un accord de paix avec les Palestiniens contre leur gré.
C'est pourquoi les autorités israéliennes sont surtout préoccupées aujourd'hui par la perspective d'un changement de politique à l'égard de l'Iran. La constitution d'une alliance anti-iranienne cesse d'être l'objectif numéro 1 pour Washington.
Joe Biden a condamné la décision de Donald Trump de se retirer unilatéralement du Plan d'action sur le nucléaire iranien, en estimant que cela a conduit à la radicalisation de Téhéran, après quoi le Proche-Orient s'est retrouvé au "seuil d'une nouvelle guerre catastrophique".
"Si Téhéran respectait les termes de l'accord, le président Biden signerait de nouveau l'accord en utilisant la diplomatie ferme et le soutien de nos alliés pour le renforcer et l'élargir, tout en luttant plus efficacement contre d'autres actions déstabilisantes de l'Iran", indique le site de campagne de l'équipe Biden. Sachant que les experts doutent que les Etats-Unis puissent revenir dans le Plan d'action, à la fois à cause de l'opposition du parti républicain qui a conservé le sénat, que de la position d'Israël, des monarchies arabes et de Téhéran lui-même.
Les résultats des élections américaines préoccupaient surtout l'Arabie saoudite, la Turquie et l'Egypte. Selon la presse américaine, Joe Biden renoncera à l'un des principaux éléments de la politique de Donald Trump: fermer les yeux sur l'autocratie et la violation des droits de l'homme au profit d'une brutale realpolitik.
Les Etats-Unis ne fermeront plus les yeux sur les frappes de la coalition arabe avec l'Arabie saoudite à la tête contre le Yémen. L'embargo contre Riyad pourrait revenir à l'ordre du jour, ce à quoi Donald Trump s'opposait absolument. En même temps, Joe Biden souligne l'importance de la coopération avec l'Arabie saoudite dans le cadre de la contention de l'Iran et de la lutte contre le terrorisme.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan ne se décide toujours pas à féliciter Joe Biden avec sa victoire. Ce qui n'est pas surprenant. Pendant la campagne ce dernier le qualifiait d'autocrate et promettait de "redonner du courage" à l'opposition turque pour "vaincre Erdogan aux élections, et non par un coup d'Etat".
Joe Biden a également appelé le dirigeant turc à revenir sur sa décision de transformer la basilique Sainte-Sophie en mosquée. En cas de sa victoire, il avait également promis de reconnaître le génocide arménien.
Un autre point de collision entre les intérêts de Washington et d'Ankara pourrait être l'achat par la Turquie de systèmes antiaériens russes S-400 et l'adoption par l'administration Biden de sanctions très sévères dans le cadre de la loi sur la lutte contre les ennemis de l'Amérique par les sanctions. En même temps, la Turquie est un partenaire de très longue date et trop important des Etats-Unis pour que Joe Biden préfère brûler tous les ponts sans tenter de redémarrer les relations américano-turques.
Donald Trump qualifiait le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi de son "dictateur préféré". Alors que Joe Biden et ses conseillers, au contraire, critiquaient Le Caire pour la violation des droits de l'homme. Les experts n'excluent pas qu'à présent Washington pourrait à tout moment suspendre ou cesser l'aide américaine au profit de l'Egypte.
Alexandre Lemoine
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