L'activité militaro-politique des autorités turques fait penser de plus en plus à l'agitation. Les interventions militaires se succèdent en Irak, en Syrie, en Libye, en Méditerranée orientale. Selon bien des paramètres, les récents événements dans le Haut-Karabakh seraient du même ordre des choses.
Mais Ankara n'a encore réussi à atteindre aucun des objectifs fixés – expulser les troupes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) des bases irakiennes, renverser le gouvernement de Bachar al-Assad et créer un "corridor de sécurité" continu en Syrie, défaire l'Armée nationale libyenne de Khalifa Haftar, garantir la légitimité internationale des forages sur le plateau de Chypre (à présent une attention particulière est accordée à l'exploration géologique en mer Noire). Il y a des résultats sur tous les axes énumérés, mais ces résultats sont partiels. Alors que l'establishment qui a proclamé il y a quelques années la Turquie en tant que "grande puissance" a besoin de mettre en œuvre à part entière et de facto cette thèse.
La Turquie comptait apparemment bénéficier d'un soutien global de l'opération de l'Azerbaïdjan au Karabakh afin de partager les lauriers du vainqueur en parfaite conformité avec le principe "deux Etats, une nation". D'autant que dans le récent conflit le rapport des forces promettait cette issue précise. Mais une fois de plus "tout le territoire azéri occupé n'a pas pu être libéré". Le statut du Haut-Karabakh reste également indéterminé.
De toute évidence, la Turquie voulait déployer dans la zone des récentes activités militaires des casques bleus turcs, et au départ le président azéri Ilham Aliev, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu et le ministre turc de la Défense Hulusi Akar en parlaient comme d'une chose allant de soi.
Cependant, "aucun casque bleu turc ne sera envoyé dans le Haut-Karabakh…, les observateurs turcs ne sortiront pas sur le territoire du Haut-Karabakh, leur déploiement sera limité au centre d'observation en Azerbaïdjan", a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov se référant à la déclaration conjointe des dirigeants de la Russie, de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie sur le cessez-le-feu.
Le 17 novembre, le parlement turc a approuvé le projet de loi initié par Recep Erdogan sur l'envoi de militaires turcs en Azerbaïdjan (visiblement au centre d'observation). A noter que d'après l'agence de presse Anadolu, la détermination du cadre de la mission, des délais de son activité et des effectifs du contingent est la prérogative de l'administration présidentielle.
Ainsi, une nouvelle grande victoire éventuelle a échappé à la Turquie. Et récemment Recep Erdogan s'est rendu en visite en République turque de Chypre du Nord où, déplorant l'impossibilité de "se résigner à l'injustice causée à Chypre du Nord", il a appelé les Turcs chypriotes à "décider eux-mêmes de leur propre sort". Faut-il s'attendre à une aggravation? Ce n'est pas à exclure – seule la Grèce peut s'engager sérieusement pour Chypre, mais ses forces armées sont incomparables aux turques.
Certes, une telle aventure potentielle ferait déborder le vase de la patience de l'UE, mais rien n'est à exclure à l'époque où la fin justifie les moyens. Or cela pourrait se solder par la perte de plusieurs positions internationales, qui plus est vu la crise économique nationale. Et le nouveau président américain pratiquement élu n'éprouve manifestement aucune sympathie pour les actions actuelles des autorités turques.
Serait-ce la raison pour laquelle l'axe "Est", plus exactement turc de la politique étrangère, devient prioritaire pour Ankara, dont le gouvernement mise sur la composante idéologique et émotionnelle de ses efforts en promouvant "l'unité turque"?
D'ailleurs, à cet égard, l'un des points de la déclaration conjointe des dirigeants de la Russie, de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie sur le cessez-le-feu dans le Karabakh se présente sous un nouvel angle. D'après le document, un corridor de transport pourrait être mis au point entre Nakhitchevan et l'Azerbaïdjan "continental" via le territoire de l'Arménie, qui ouvrira à la Turquie un accès direct à la mer Caspienne. Et à partir de là – aux pays d'Asie centrale.
Alexandre Lemoine
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