Dans ce monde il faut payer pour tout, c'est bien connu. Et cela concerne à part entière les coups d'Etat qui bouleversent ces vingt dernières années l'espace postsoviétique, appelés "révolutions de couleur". Et si ces activités sont généralement financées par des acteurs extérieurs, toute la gravité des conséquences retombe sur le pays qui a admis un nouveau "maïdan" sur son territoire.
Le passage d'un tel Etat sous le contrôle extérieur, la brutale soumission de son économie aux intérêts des "partenaires" étrangers qui la mène vers une chute inéluctable… La destruction de l'industrie, de la science, de l'éducation… La fracture totale du secteur social habituel depuis l'époque soviétique. Tout cela, ce sont les résultats inévitables des révolutions orchestrées depuis l'étranger et menées sous de merveilleux slogans indépendamment de leur appellation et "couleur".
Ce n'est pas surprenant qu'un Etat ayant vécu un coup d'Etat soit forcé de se séparer d'une partie de ses propres territoires. Et il ne faut pas en accuser la politique russe. Ce n'est pas le problème. La raison est si simple et évidente qu'elle est indéniable – les "révolutionnaires" eux-mêmes repoussent littéralement du pays les différentes régions en faisant tout pour que leurs habitants soient prêts à mourir pour ne pas rester au sein de l'ancienne "patrie", devenue on ne sait quoi.
Car les "maïdans", quoi qu'on en dise, ne sont pas du tout une "protestation de la majorité". C'est toujours le processus d'imposition par une minorité agressive de sa volonté au reste de la population du pays. De par sa nature cette minorité est absolument intolérante envers l'avis des autres, envers toutes les opinions qui ne coïncident pas avec la sienne.
D'autant que dans la majorité absolue des cas la passion "révolutionnaire" s'appuie sur le nationalisme extrême frôlant le nazisme. Sachant que la "nation titulaire" vainqueur ne juge pas utile de tenir compte des besoins nationaux culturels d'autres peuples du pays. Ce qui est le plus paradoxal, c'est que ces mêmes "activistes révolutionnaires", qui crient plus fort que les autres sur les "maïdans" concernant le "droit de l'autodétermination nationale" en blâmant "l'occupation soviétique", deviennent complètement hystériques dès que quelqu'un d'autre mentionne l'intention de "s'autodéterminer" au sein même du pays.
Les exemples concrets sont nombreux. La Géorgie a définitivement dit adieu à l'Abkhazie et à l'Ossétie du Sud précisément après la "révolution des roses", qui a mené Mikhaïl Saakachvili au pouvoir en 2003. Certes, des conflits avaient déjà lieu auparavant, le sang coulait et des combats avaient lieu. Mais si jusqu'en août 2008 il existait encore des possibilités de réconciliation entre Tbilissi, Soukhoum et Tskhinval, et une chance illusoire de leur présence au sein de la Géorgie avec un droit d'autonomie, après la tentative de Mikhaïl Saakachvili de reprendre les "républiques non reconnues" par la force militaire, il n'en est plus question.
La même chose concerne l'Ukraine. La Crimée existait tant bien que mal au sein de ce pays à partir de 1991. Certes, le "maïdan" de 2004 a beaucoup fait réfléchir les habitants de la péninsule. Mais ces derniers ont décidé de se séparer de ceux qui ont pris le pouvoir à Kiev en 2014. Sinon, ils auraient connu le même sort que les habitants du Donbass qui ont fait les frais de la brutalité des "sauveteurs". Ce territoire n'a pas non plus voulu faire partie de l'Etat engendré par "l'euromaïdan", qui a de facto quitté l'Ukraine après avoir été confronté à la guerre.
Et quels que soient les termes des Accords de Minsk, tout le monde sait que les républiques de Donetsk et de Lougansk ne reviendront jamais dans l'Ukraine sous sa forme actuelle, telle qu'elle est devenue après la révolution de couleur et tous les événements qui ont suivi.
Le dernier exemple en date pourrait être la défaite de l'Arménie dans la récente guerre au Haut-Karabakh. Tant que le pays était dirigé par des leaders plus ou moins réussis, mais pas du "maïdan", la situation ne dégénérait pas jusqu'aux affrontements armés d'une telle envergure. Mais à peine une révolution de couleur classique s'est produite à Erevan, il s'est avéré que toutes les "merveilleuses" perspectives promises aux rassemblements par l'opposition ne sont que des paroles en l'air et du bluff. L'Arménie n'était absolument pas prête pour des épreuves réelles, qui plus est à une guerre.
Ce serait bien que chacun de ceux qui sont confrontés aux appels à participer à de nouvelles "manifestations", que ce soit à Minsk, à Moscou, à Bichkek ou ailleurs, commence par se demander: "Quelle partie de ma Patrie me propose-t-on d'abandonner?" Les "maïdans" et les tentatives de les organiser seraient alors moins fréquents. Même si les autorités ne doivent pas non plus en abuser: l'activité politique et économique doit être telle pour que la population ne soit pas tentée par des troubles révolutionnaires.
Alexandre Lemoine
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