La Centrafrique qui retrouve progressivement la stabilité après des années de conflit a vu le déroulement des élections présidentielles et législatives le 27 décembre dernier. Cet entretien exclusif pour Observateur Continental avec Sylvie Baïpo-Temon, ministre des Affaires étrangères de la République centrafricaine, est consacré aux défis que le pays continue de relever, ainsi qu’à l’interaction avec la communauté internationale.
Madame la Ministre, vous êtes en poste en qualité de cheffe de la diplomatie centrafricaine depuis maintenant un peu plus de deux ans. Depuis vous avez mené une activité intense en matière de relations internationales pour le compte de votre pays. Quelles sont aujourd’hui pour vous les principales orientations de la politique extérieure de votre nation?
Sylvie Baïpo-Temon: La République centrafricaine du fait de ces trop nombreuses crises, a longtemps été mise en marge sur la scène internationale. Davantage connue pour ces troubles à répétition, l’orientation du Président de la République a été de travailler à faire revenir la République centrafricaine dans le concert des Nations. D’adapter la diplomatie centrafricaine aux enjeux du monde, qui aujourd’hui sont sécuritaires et économiques.
La RCA s’est ainsi ouverte au monde, tant au niveau bilatéral en raffermissant et renforçant ses relations de coopération bilatérale, qu’au niveau multilatéral en contribuant par son expérience aux défis communs de la Sécurité, la Paix durable et la croissance économique menacées par les groupes armés, le terrorisme, l’extrémisme violent.
La politique extérieure de la RCA s’est principalement concentrée sur une ouverture de la République centrafricaine au monde afin de puiser de l’expertise des autres et partager aussi de la sienne.
L’une des caractéristiques de la politique internationale du président Faustin-Archange Touadéra a été la diversification des partenariats extérieurs de la RCA. Cette approche, logique pour un pays souverain, a connu nombre de critiques de la part des partenaires «traditionnels» de la Centrafrique. Pensez-vous que ces critiques étaient justifiées?
- Il est important de ne pas tomber dans le piège des incompréhensions, interprétations et rumeurs qui font des frasques actuellement en mettant en avant une tension entre deux partenaires de la République centrafricaine que sont la France et la Fédération de Russie.
La RCA est un pays qui s’évertue à chercher de sortir de cycles de violences et crises qui ont mis à mal le tissu économique et social. Pourquoi s’obstiner à vouloir la placer au milieu de deux grandes puissances qui d’ailleurs entretiennent une excellente relation de coopération entre elles.
La République centrafricaine pour sortir de la grosse crise de 2012, a fait appel à tous ces partenaires et cela de manière totalement transparente avec d’ailleurs une démarche naturelle en premier lieu vers le partenaire traditionnel.
La RCA a besoin de la synergie de tous ces partenaires, de la solidarité de tous ces partenaires pour la seule cause qui est le retour à la paix et à la stabilité en RCA.
Dans toutes relations, il y a des divergences et si divergences il y a entre deux de nos partenaires et pays amis, je voudrais dire que ces divergences ne concernent pas la RCA qui a des préoccupations à des années lumières de celles des grandes puissances.
Je déplore tout ce cocktail journalistique qui s’entête à parler de rapprochement entre la RCA et la Russie, alors que ces deux pays ont établi des relations diplomatiques et de coopérations depuis 1960. Tout ceci ne concoure pas à instaurer et à pérenniser un climat d'apaisement dans un pays qui pourtant, en a le plus besoin
Pratiquement à la veille des élections, certains groupes armés ont violé leurs engagements dans le cadre de l’Accord de Khartoum et avaient menacé d’empêcher le déroulement des élections. Pourtant les élections se sont déroulées à la date prévue, dans un climat globalement calme et avec une mobilisation active des citoyens centrafricains. Considérez-vous le déroulement de ces élections comme une réussite?
- Je ne considère pas ces élections comme une réussite, ces élections sont une réussite. Il s’agit avant tout d’une formidable leçon de démocratie exprimée par une population lassée des violences et perpétuels recours à la force pour accéder au pouvoir.
Le message adressé par le peuple centrafricain à la classe politique centrafricaine est, pour moi, sans appel. Ce peuple ne souhaite plus être pris en otage de calcul fallacieux et malicieux.
L’audace et le courage de la population centrafricaine est à féliciter, à encourager et à vulgariser.
Vous savez dans certaines localités dans l’arrière-pays, la population et les femmes en particulier se sont tenues debout face aux groupes armés pour revendiquer leur droit au vote. Elles sont sorties unies pour aller voter. Le déroulement et calendrier des différents pactes et alliances pour mettre en place la Coalition des patriotes pour le Changement met en évidence que les attaques et menaces perpétrées étaient relatives à la peur d’une sanction sévère des urnes.
Vous savez, ce processus électoral traduit une belle citation de Nelson Mandela, qui disait à juste titre: «Il est difficile d'expliquer à quelqu'un qui a les idées étroites qu'être ‘éduqué’ ne signifie pas seulement savoir lire et écrire et avoir une licence, mais qu'un illettré peut être un électeur bien plus ‘éduqué’ que quelqu'un qui possède des diplômes».
Compte tenu de la violation des engagements de la part de ces groupes armés, doit-on s’attendre selon vous à une autre phase d’instabilité, dont la République centrafricaine a globalement tourné la page au cours des dernières années? Ou au contraire peut-on espérer une sécurisation et une plus grande stabilisation à venir?
- Je pense et plaide pour que cette énième violation, de la part des groupes armés de leurs engagements, soit fermement sanctionnée.
Cette recrudescence de violences, contre la population et le territoire centrafricain marquée par d’énormes violations des droits internationaux, est une menace pour la paix dans le monde car elle met en danger les idéaux de nos organisations multilatérales.
Il nous faut, non pas espérer une sécurisation et stabilité mais répondre à cette agression par une solidarité unanime pour asseoir la sécurité et la stabilité.
Le peuple de Centrafrique observe.
Depuis que la RCA soit entrée dans la phase d’un développement plus stable et sécurisé, de nombreux Etats et acteurs privés étrangers s’intéressent à des projets économiques en Centrafrique. Aussi bien africains qu’extracontinentaux. Selon vous, comment les intéressés doivent s’y prendre pour le lancement de projets en République centrafricaine dans un cadre gagnant-gagnant, notamment pour que ces projets puissent contribuer au bien-être de la population du pays?
- La RCA a besoin de relancer son économie et se développer tant économiquement que socialement. Les investisseurs sont invités à présenter des projets prometteurs à fort potentiel de développement. Après tant d’années de guerre, il nous faut reconstruire le pays avec des partenaires engagés et dans un esprit gagnant-gagnant.
Le gouvernement a travaillé justement à améliorer le climat des affaires afin d’inciter à l’investissement.
La porte d’entrée de la RCA étant le Ministère des Affaires étrangères, les investisseurs sont encouragés à prendre contact avec mes services afin d’être orientés vers les départements compétents.
Comme tout Etat indépendant et souverain, une question de première importance concerne la capacité défensive des forces armées du pays. On sait que depuis la diversification des relations extérieures opérée par le Président Touadéra, un grand travail a été réalisé en ce sens. Quelles sont les choses qui doivent encore être réalisées pour que les Forces armées centrafricaines (FACA) puissent atteindre le niveau si souhaité par la population centrafricaine et le leadership du pays? Y compris en termes de soutien des alliés internationaux de la RCA.
- La RCA a entamé un programme de reconstruction de ses forces de défense et de sécurité.
Avec l’appui de nos partenaires et pays amis, les éléments ont bénéficié de formations au pays ou à l’extérieur et continuent d’en bénéficier. En effet, la diversification de nos partenariats est d’une importance non négligeable dans cette phase de reconstruction.
Il reste à poursuivre les efforts nécessaires pour mettre sur pied une armée digne de ce nom avec tout l’encadrement, dispositif et équipement appropriés.
Un soutien au plaidoyer de la RCA pour la levée de l’embargo car il devient insoutenable devant l’opinion nationale et internationale de condamner les agissements de groupes armés tout en leur offrant, par un embargo sur un Etat légitime, les moyens de s’armer de manière complaisante.