L'administration du président américain Joe Biden a entamé la réalisation de sa promesse de procéder au "recalibrage des relations" avec l'Arabie saoudite. Fin février a été publié un rapport des renseignements américains clamant la responsabilité du prince héritier de l'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane pour l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. Après quoi, Washington a décrété des sanctions. Et la semaine dernière, le département d'Etat américain a confirmé que les approches de la vente d'armes à Riyad changeraient.
Quelles perspectives ces circonstances ouvrent-elles pour la Russie?
L'éventuel refroidissement des relations américano-saoudiennes suite à la publication d'un rapport du Renseignement national américain, où le prince héritier Mohammed ben Salmane est désigné comme responsable de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, influencera très certainement la situation sur le marché de l'armement.
"Une procédure a été établie à présent pour toute vente ou un transfert d'armements, grâce au président Biden et ses efforts pour recalibrer ces relations à partir de zéro, dans le cadre de laquelle dans chaque cas concret sera évaluée la proposition d'une vente ou d'un transfert en fonction de deux critères: nos intérêts et nos valeurs", a déclaré la semaine dernière le porte-parole du département d'Etat américain, Ned Price.
Certains experts parlent déjà de livraisons hypothétiques à Riyad d'armements russes tels que des missiles antiaériens S-400 et des avions Su-35, or la réalité pourrait s'avérer bien plus modeste mais aussi plus intéressante.
En ce moment, l'Arabie saoudite est le plus grand importateur d'armements et de matériel militaire dans le monde et le plus grand bénéficiaire d'armes américaines. Sa part dans les exportations américaines est passée de 7,4% en 2010-2014 à 25% en 2015-2019 (selon le SIPRI). Avec le début de la campagne militaire de la coalition arabe menée par l'Arabie saoudite au Yémen, en 2015, plusieurs congressistes américains ont tenté plusieurs fois de limiter les exportations d'armes américaines au royaume, mais les grandes fournitures ont continué jusqu'en 2019. Par exemple, l'armée de l'air saoudienne a obtenu 30 chasseurs F-15SA sur les 154 commandés en 2011.
Fin février, après la publication du rapport des renseignements américains, où le prince héritier de l'Arabie saoudite est désigné comme responsable de l'assassinat de Jamal Khashoggi, Washington a annoncé un changement de relations avec Riyad. Notamment en ce qui concerne les fournitures d'armes.
"Nous revoyons ces transactions de vente d'armes. Nous cherchons à faire en sorte qu'à terme les armes fournies servent à défendre le royaume et non à développer ses capacités de mener des opérations offensives", a déclaré le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken. Les partenaires américains de l'Otan ont également songé aux mesures de restriction. Ainsi, fin janvier, des communiqués ont rapporté la suspension de fournitures italiennes dans le cadre de la coopération militaro-technique à l'Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis. Cette décision a été annoncée par le chef de la diplomatie italienne Luigi Di Maio.
Tandis que la Russie a d'autres projets. Le 19 février 2021 a été signé un décret du gouvernement russe pour passer un accord intergouvernemental sur la coopération militaro-technique avec l'Arabie saoudite. Ce n'est pas la première tentative de fabricants d'armes russes de conquérir le marché saoudien, mais leurs succès restent limités, incluant des armes d'infanterie, des systèmes antichars et des lance-flammes lourds TOS-1A Solntsepek. Un contrat a été également signé pour la mise en place d'une fabrication conjointe des fusils automatiques Kalachnikov. Les plans de ventes d'armements et de matériel militaire politiquement plus sensibles, notamment de S-400, n'ont pas pu se réaliser. Et les experts doutent que la baisse éventuelle du niveau de coopération entre Washington et Riyad changera significativement la situation.
L'Arabie saoudite sera avant tout intéressée par des systèmes relativement bon marché mais efficaces, des "consommables" activement utilisés dans les conflits locaux. Le marché saoudien est surchargé en armements sophistiqués très chers avec un très grand nombre d'avions modernes, de systèmes antiaériens Patriot, d'hélicoptères Apache Longbow et d'autres systèmes de pointe.
L'agence russe d'exportation des armes Rosoboronexport peut proposer aux forces armées saoudiennes des systèmes dont ils ont réellement besoin: du matériel et des armements relativement bon marché capables de remplir des missions concrètes dans des conflits locaux. Il pourrait s'agit de systèmes antiaériens, mais très probablement de systèmes de proximité de courte et de moyenne portée. Tels que Pantsir-S, Tor et éventuellement Bouk-M3 parmi les armes de plus grande portée. En outre, il pourrait être question de matériel blindé, compte tenu de la réputation du char T-90 dans la région.
Par ailleurs, l'Arabie saoudite pourrait être intéressée (pour les mêmes raisons que par le matériel blindé) par des hélicoptères de combat et de transport de la gamme Mi-8/17, notamment par leurs versions d'assaut.
Enfin, la Russie pourrait livrer à Riyad de nombreux systèmes d'artillerie, des obusiers et des canons ordinaires, ainsi que des lance-roquettes multiples avec les munitions. Cette arme devient de plus en plus chère dans le monde, tandis que le besoin en artillerie dans les guerres locales ne diminue pas.
Sachant que les perspectives des contrats russo-saoudiens resteront influencées par les relations de Moscou et de Riyad avec les Etats-Unis, Israël et l'Iran.
Ilia Kramnik, expert militaire indépendant
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