Les voyages spatiaux connaissent un grand boom. De nombreuses missions sont lancées en direction de la Lune, de Mars. Plusieurs pays s'engagent dans cette course effrénée. Dans un entretien à Observateur Continental, Nathalie Tinjod, qui travaille au département des relations extérieures de l'ESA au sein de la direction générale, comme chef du projet Histoire de l'espace, nous parle de l’ambition spatiale européenne et de l'aspect géopolitique de la course à l’espace.
Quelle est la dimension géopolitique de ces lancements de missions sur Mars par rapport à L'ESA?
- Il faut savoir que si la compétition est un moteur pour les activités spatiales, c'est la coopération qui rend nombre de celles-ci possibles. Dans le domaine des activités spatiales, les échelles régionale, nationale, européenne, globale s’articulent de manière différenciée. Par exemple, l'ESA participe aux grands partenariats comme la Station spatiale internationale ou le Gateway, tout en conduisant un large éventail de projets pour son propre compte ou pour l’Union européenne dans le cas de Galileo ou Copernicus.
Tous les Etats membres de l’ESA doivent participer de manière obligatoire à un certain nombre d’activités: le programme scientifique; les activités technologiques de base; l'éducation. Elles sont financées à travers le budget général et en fonction d’une clé de répartition indexée sur la production annuelle de richesses. Ensuite, il y a les programmes optionnels qui sont une sorte de menu à la carte où les Etats ne participent qu'en fonction de leurs priorités en termes de politiques publiques, d’enjeux stratégiques et commerciaux, et de leurs capacités industrielles.
Dans quel but, en fait, l'ESA a été lancée?
- L'Agence a été fondée pour réaliser des missions spatiales et pour développer des champions au niveau européen. Le retour géographique a joué un rôle fondamental dans le développement de ces capacités industrielles nationales. Si ces pays devaient conduire seuls leur programme spatial, le développement serait relativement limité car la plupart des projets requièrent un fort investissement. Cela permet à ceux qui le souhaitent d’accéder à des programmes d’exploration ambitieux, vers la Lune, par exemple. A côté de grandes nations spatiales comme la France, l'Allemagne, l'Italie, figurent des Etats qui produisent un effort financier considérable au regard de leurs ressources: la Belgique, la Suisse, ou l’Espagne. Etre un Etat membre de l'ESA n'interdit pas de conclure des accords de coopération bilatérale ou trilatérale. La France est un partenaire de choix des Etats-Unis, de la Russie, de l’Inde, du Japon et de la Chine.
Bien que la diplomatie spatiale s’affranchisse des tensions géopolitiques, celles-ci peuvent entraver certains projets. Il arrive parfois au contraire que l’on développe des projets spatiaux pour nouer des liens étroits avec certains pays dans le domaine technologique, en facilitant par là-même la résolution des questions politiques.
Pour Mars 2020, la France (CNES, CNRS, IRAP) est partie prenante de cette mission NASA Perseverance grâce à l'instrument Supercam, composé de 3 spectromètres (LIBS, RAMAN et Infrarouge), d’une caméra et d’un microphone, placé à bord du rover. Les échantillons identifiés lors de Mars 2020 seront ensuite collectés et ramenés sur Terre en 2031 grâce à la mission Mars Sample Return qui décollera en 2026, une collaboration entre l’ESA et la NASA notamment.
A partir de quand cette idée de diplomatie spatiale a été mise en place au sein de l'ESA?
- Depuis le début, mais la chute du mur de Berlin en 1989 a élargi son horizon. On fait de la diplomatie spatiale tous les jours en collaborant entre 22 Etats membres. La coopération est dans l'ADN de cet instrument nommé ESA qui est une organisation intergouvernementale. L'ESRO (pour la science) et l'ELDO (pour les lanceurs) ont donné naissance à l'ESA. Ces deux organisations créés au début des années 60 ont été réunies en une seule en 1975. Le CNES, agence spatiale française, a été fondée en 1961, il y a 60 ans. La NASA, c'était en 1958. Nous n'étions pas en retard. La différence est qu'après Spoutnik en 1957, l'effort spatial, c'était une course à l'espace avec une dimension géopolitique structurée par la guerre froide. L'ESA et ses prédécesseurs ont été créés par des scientifiques qui avaient réalisé le CERN et qui ont voulu son équivalent pour l'espace. Ce n'était pas une démarche fondamentalement politique, bien que d’inspiration européenne, ni une démarche de course à l'espace, mais une démarche scientifique menée par des scientifiques pour faire des missions scientifiques, du moins pour ce qui concerne l’ESRO.
La dimension politique s'est assez vite imposée néanmoins. Si vous voulez faire des satellites, il faut pouvoir les lancer. On s'est vite rendu compte avec l'arrivée des applications spatiales (télécoms, observation de la terre) qu'on sortait de l'opérationnel pour rentrer dans le commercial et vous entrez dans la compétition. Et, si vous n'avez pas de lanceur pour accéder de manière autonome à l’espace, vous dépendez de concurrents qui ont leurs propres satellites et services commerciaux et qui peuvent avoir un intérêt à ne pas vous faciliter l’accès. Ou à le monnayer au-delà du raisonnable. Sans parler des satellites militaires.
C’est suite à un problème rencontré avec le lancement de Symphonie que l'Europe a jugé qu'il fallait se doter d’un accès indépendant à l'espace. Pour être un partenaire fiable dans l'espace, il faut être un concurrent crédible. Votre partenaire doit pouvoir avoir confiance en votre capacité à fournir en temps et en heure votre contribution. L'Europe est devenue ce concurrent crédible et ce partenaire fiable et elle a obtenu et maintenu son accès autonome à l'espace avec Ariane, lancée pour la première fois en1979 depuis Kourou en Guyane. Aujourd'hui, l'ESA couvre tout le spectre des activités spatiales. Ce n'est pas dans un but militaire. La convention de l'ESA dit que ses programmes doivent être conduits à des fins exclusivement pacifiques. Mais la plupart des technologies spatiales sont duales. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas utiliser des technologies duales. Cela veut dire qu'on doit toujours le faire dans un but non agressif.
à suivre
Nathalie Tinjod, Chef du projet Histoire de l'espace au sein du département des relations extérieures de l'ESA
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