Aucun des acteurs ne peut admettre que la relance de la Commission mixte sur le programme nucléaire iranien (JCPOA) fait pâle figure face au véritable enjeu: la puissance de missiles iranienne. Peu de gens, hormis les spécialistes, ont peut-être entendu parler de la Commission mixte du JCPOA.
Il s’agit du groupe chargé d’une tâche sisyphéenne: relancer l’accord nucléaire iranien de 2015 par une série de négociations à Vienne. L’équipe iranienne pour les négociations, dirigée par le vice-ministre des Affaires étrangères Seyed Abbas Araghch, était de retour à Vienne le 26 avril. Le jeu d’ombres commence par le fait que les Iraniens négocient avec les autres membres du P+1 – Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne – mais pas directement avec les Etats-Unis.
Ce n’est pas rien. Après tout, c’est l’administration de Donald Trump qui a fait sauter le JCPOA, ou Plan d'action global commun. Il y a une délégation américaine à Vienne, mais elle ne parle qu’avec les Européens. Soit c’est le retour au JCPOA initial, tel qu’il a été convenu à Vienne en 2015 puis ratifié par le Conseil de Sécurité de l’Onu, soit rien. Seyed Abbas Araghchi, doux et poli, a dû s’exprimer une fois de plus sur le sujet pour souligner que Téhéran quittera les pourparlers si ceux-ci s’orientent vers des «brimades», une perte de temps ou même «une danse de salon», qui est aussi une perte de temps sous une autre terminologie.
Ni franchement optimiste ni pessimiste, il reste, disons, prudemment positif, du moins en public: «Nous ne sommes pas déçus et nous ferons notre travail. Nos positions sont très claires et fermes. Les sanctions doivent être levées, vérifiées – et ensuite l’Iran doit revenir à ses engagements».
Donc, au moins en théorie, le débat est toujours d’actualité. Seyed Abbas Araghchi: «Il y a deux types de sanctions américaines contre l’Iran: premièrement, les sanctions catégorisées ou dites divisionnaires, comme les sanctions pétrolières, bancaires et d’assurance, maritimes, pétrochimiques, de construction et d’automobile; et, deuxièmement, les sanctions contre les personnes réelles et légales». «Deuxièmement» est la question clé. Il n’y a absolument aucune garantie que le Congrès américain lève la plupart ou même une partie importante de ces sanctions. Tout le monde à Washington le sait – et la délégation américaine le sait.
Lorsque le ministère des Affaires étrangères de Téhéran, par exemple, déclare qu’un accord a été trouvé sur 60% ou 70%, c’est un code pour la levée des sanctions divisionnaires. Lorsqu’il est question de «deuxièmement», Seyed Abbas Araghchi doit rester évasif: «Il y a des questions complexes dans ce domaine que nous examinons».
Maintenant, comparez-le avec l’évaluation d’initiés iraniens informés à Washington, comme l’expert en politique nucléaire Seyed Hossein Mousavian. Ce sont plutôt des réalistes pessimistes. Cela tient compte des lignes rouges non négociables établies par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, lui-même. Sans compter les pressions incessantes exercées par Israël, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis qui sont tous opposés au JCPOA. Mais, il y a aussi un jeu supplémentaire d’ombres. Les services secrets israéliens ont déjà informé le cabinet de sécurité qu’un accord sera très certainement conclu à Vienne. Après tout, le récit d’un accord réussi est déjà en train d’être construit comme une victoire de politique étrangère par l’administration Biden-Harris – ou, comme les cyniques préfèrent, Obama-Biden 3.0.
Pendant ce temps, la diplomatie iranienne continue de tourner à plein régime. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, est en visite au Qatar et en Irak, et a déjà rencontré l’émir du Qatar, le cheikh Tamim al Thani. Le président iranien, Hassan Rohani, pratiquement en fin de mandat avant les élections présidentielles de juin, revient toujours sur le même point: plus de sanctions américaines; vérification de l’Iran; puis l’Iran reviendra à ses «obligations nucléaires».
Le ministère des Affaires étrangères a même publié une fiche d’information assez détaillée soulignant une fois de plus la nécessité de supprimer «toutes les sanctions imposées, réimposées et réétiquetées depuis le 20 janvier 2017». La fenêtre d’opportunité pour un accord ne durera pas longtemps. Les partisans de la ligne dure à Téhéran ne s’en soucient guère. Au moins 80% des membres du Parlement de Téhéran sont désormais des partisans de la ligne dure.
Le prochain président sera très certainement un partisan de la ligne dure. Les efforts de l’équipe d' Hassan Rohani ont été qualifiés d’échec depuis le début de la campagne de «pression maximale» de Donald Trump. Les partisans de la ligne dure sont déjà en mode post-JCPOA. Ce qu’aucun des acteurs de ce jeu d’ombres ne peut admettre, c’est que la relance du JCPOA fait pâle figure face au véritable enjeu: la puissance et la portée des missiles iraniens.
Lors des négociations initiales de 2015 à Vienne, Obama-Biden 2.0 ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour inclure les missiles dans l’accord.
Chaque grain de sable du désert du Néguev sait qu’Israël ira jusqu’au bout pour conserver sa primauté en matière d’armes nucléaires au Moyen-Orient. Grâce à un spectaculaire kabuki, le fait qu’Israël soit une puissance nucléaire reste «invisible» pour l’opinion publique mondiale.
Pepe Escobar
Source: https://reseauinternational.net/un-jeu-dombres-a-vienne-plane-sur-laccord-nucleaire-iranien/
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