Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a déclaré pendant la rencontre, ce 19 mai, à Reykjavik: "Nous aspirons à des relations stables et prévisibles avec la Russie." La fréquence avec laquelle les représentants de l'administration de Joe Biden répètent cette phrase signifie qu'elle n'est pas due au hasard et mérite une plus grande attention.
Cette expression est apparue dans la rhétorique officielle de Washington mi-mars, le lendemain de la déclaration peu diplomatique de Joe Biden concernant le président russe. Cet incident, suivi par le rappel de l'ambassadeur à Moscou pour des consultations, a montré la rapidité avec laquelle une crise pouvait éclater dans les relations russo-américaines.
"Il faut établir un cadre pour le développement des aspects antagonistes de nos relations", avait déclaré à l'époque la porte-parole du département d'Etat américain Jalina Porter. Non pas se débarrasser de l'antagonisme, mais s'entendre sur les règles selon lesquelles une telle confrontation se déroulera.
Instaurer la stabilité est un processus lent et laborieux. Quand les parties sont conscientes du fait que la rupture totale des relations serait nuisible pour leurs intérêts, survient la nécessité de maîtriser les différends qui existent. Un mécanisme d'adaptation aux troubles qui surviennent s'élabore au fur et à mesure que l'expérience s'accumule: le comportement des parties devient prévisible, le sentiment d'"urgence" de la moindre mésentente disparaît, alors qu'il est possible de l'effacer via les canaux de communications en place.
Historiquement les problèmes dans les relations russo-américaines, où l'absence du dialogue saperait les intérêts vitaux des parties, se limitent à la stabilité stratégique et à la prévention d'affrontements militaires directs. Même dans le cadre d'une profonde crise dans les relations en 2014 un mécanisme de "deconflicting" a été mis en place en Syrie, alors que la prolongation du traité START 3 a été la première et la plus simple des questions bilatérales laquelle l'administration Biden a décidé de régler.
A présent, en ayant conscience de l'impossibilité d'une guerre nucléaire entre les grandes puissances, le poids de la question nucléaire, du "stabilisateur" des relations bilatérales, diminue. En parallèle, ces dernières années, l'ordre du jour international s'est élargi avec de nouveaux secteurs: le cyberespace, l'espace, l'écologie, les technologies, la pandémie, l'apparition de nouveaux types d'armement. L'activation des gouvernements nationaux dans chacun de ces domaines accroît inévitablement le nombre d'interactions et donc d'incidents dans les relations interétatiques. En l'absence d'un mécanisme de "gestion" des crises qui surgissent les pays sont enclins à analyser les incidents dans les relations bilatérales selon le pire des scénarios nécessitant la réaction la plus ferme. De plus, dans ces conditions augmente la marge de manipulation par d'autres pays qui souhaitent précisément un tel scénario. En proclamant la ligne visant à établir des relations "stables et prévisibles" avec la Russie, l'administration Biden cherche précisément à réduire un tel potentiel explosif.
La rencontre entre les deux chefs de diplomatie à Reykjavik a été un premier pas vers la stabilisation des relations. Comme l'a souligné Washington, "cet événement était orienté sur la détermination de l'ampleur du travail pour les semaines, les mois et les années à venir et n'était pas une tentative d'obtenir des résultats en une seule fois". Sur certains sujets (la stabilité stratégique, l'écologie, l'accord nucléaire iranien) les intérêts de la Russie et des Etats-Unis coïncident, et ces questions seront soulevées au sommet du 16 juin à Genève.
Bien évidemment, le rétablissement des canaux de communication représente un aspect majeur, ce qui implique avant tout la reprise du fonctionnement normal des représentations diplomatiques, mais aussi la mise en place de formats permanents de dialogue dans les domaines où la probabilité d'"erreurs" grandit rapidement (par exemple, le cyberespace).
Dans l'ensemble, c'est un travail sérieux dont le succès dépendra de la volonté et des capacités. La volonté des Etats-Unis est alimentée par l'objectif de confrontation avec la Chine, qui est qualifiée par le Guide stratégique intérimaire de sécurité nationale de "seul concurrent capable de mobiliser ses ressources économiques, diplomatiques, militaires et technologiques pour devenir un sérieux défi pour le système international stable et ouvert". Sachant que les capacités sont limitées par les sentiments antirusses qui persistent au sein des élites américaines, qui exigent notamment de durcir les sanctions contre le Nord Stream 2 et qui empêchent l'apparition dans l'équipe chargée du dossier russe de personnes soupçonnées de souplesse envers Moscou. Enfin, un facteur important de retenue est l'absence d'un consensus sur la politique étrangère à Washington même, dont les priorités peuvent significativement change d'un cycle électoral à l'autre.
Olga Rebro, expert du club de discussion Valdaï
Les opinions exprimées par les analystes ne peuvent être considérées comme émanant des éditeurs du portail. Elles n'engagent que la responsabilité des auteurs