Dans le JDD du dimanche 30 mai, Emmanuel Macron s’est livré une nouvelle fois à des «confidences» sur l’Afrique, passant en revue tous les sujets du moment sur le continent: économie, immigration, terrorisme, gouvernance.
Au milieu de cet inventaire, un passage a fait l’effet d’une torpille. S’agissant de la situation au Mali après les événements du 24 mai, il a déclaré: «(…) je ne resterai pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique, ni de transition» puis il a ajouté «l’islamisme radical au Mali avec nos soldats sur place? Jamais de la vie! Il y a aujourd’hui cette tentation au Mali. Mais si cela va dans ce sens, je me retirerai». A elles seules, ces deux phrases résument la politique africaine de Gribouille menée par l’Elysée. Cette politique de balancier aussi irrationnelle qu’illisible démonétise la parole de la France qui perd pied progressivement, lentement mais sûrement sur tout le continent. La décision de la Cedeao de suspendre le Mali de son organisation mais de ne pas lui imposer de sanctions économiques et d’avaliser la récente prise de pouvoir par le colonel Assimi Goïta, le prouve .
De la légitimité. Si les psychodrames bamakois devaient avoir quelques vertus, ce seraient celles de renvoyer le miroir des contradictions françaises en Afrique et d’être le révélateur de l’isolement diplomatique de Paris sur le continent. Le 14 mai 2021, le Premier ministre, Moctar Ouane, présente sa démission, il est immédiatement reconduit par le président Bah Ndaw qui le charge de former un nouveau gouvernement. Dix jours plus tard, les ministres sont enfin nommés, deux des auteurs du putsch d’août 2020, le ministre de la Défense et de la Sécurité ne sont pas reconduits. Le même jour, le vice-président Assimi Goïta, aidé de ses amis officiers, démet de leurs fonctions le Président et le Premier ministre et les emmène manu-militari au camp militaire de Kati. Le 26 mai, ces derniers démissionnent et deux jours plus tard, la Cour constitutionnelle, constatant la vacance du pouvoir, rend un arrêt qui valide le remplacement du président de la transition par Assimi Goïta. Ce «coup dans le coup» pour les uns, cette «rectification de la transition» pour les autres, a déclenché l’ire du président français, qui a subitement pris la mesure des dangers de l’absence «de légitimité démocratique» et a menacé de retirer les soldats de Barkhane. Emmanuel Macron a eu tort de s’aventurer sur le terrain de la «légitimité démocratique», c’est une pente abrupte et glissante. En Afrique francophone qui peut s’en targuer? Les chefs d’Etat qui ont été réélus grâce à des troisièmes mandats anticonstitutionnels et/ou des scrutins non-crédibles? Dans ces conditions, faut-il demander aux 750 hommes des Forces françaises de Côte d’Ivoire (FFCI) de partir?
Les anciennes autorités maliennes de transition ne pouvaient pas non plus se prévaloir d’une quelconque légitimité démocratique: Bah Ndaw et Moctar Ouane avaient été choisis par le groupe d’officiers auteurs du putsch de 2020. Avant de se retrouver à la tête de l’Etat, le premier était un colonel à la retraite et le second travaillait pour des institutions internationales. Aucun des deux n’avaient donc d’activité politique qui leur aurait permis de s’appuyer sur une once de légitimité, qu’elle soit démocratique ou populaire. D’ailleurs, et c’est assez important pour être souligné, ni leur départ, ni leur séquestration, pendant quelques jours, n’a suscité de réel mouvement de colère ou de signe d’empathie dans le pays. Cette indifférence à leur égard est à l’image de leur bilan à la tête du Mali pendant 8 mois. Il serait tout aussi hasardeux de s’aventurer sur le terrain de la légalité, l’architecture institutionnelle mise en place en septembre 2020 étant pour le moins bancale. Elle se base à la fois sur une charte de la transition rédigée à la va-vite et sur la Constitution de 92, la première étant supérieure à la seconde, ce qui n’est pas le moindre des problèmes. Le Conseil National de Transition (CNT) chargé de voter les lois en lieu et place des députés est constitué de personnalités nommées par les militaires…
Le bon côté des choses. (…). Les Maliens s’impatientaient devant l’apathie des autorités. Syndicats et partis politiques excédés par la surdité et l’aveuglement du gouvernement s’apprêtaient à reprendre les manifestations. De plus, rien n’était entrepris pour que les élections soient organisées à la date prévue en février 2022. Faute de scrutin dans les temps impartis, les autorités de transition auraient été balayées comme l’avait été Ibrahim Boubacar Keïta. En reprenant les choses en main, les militaires évitent probablement un coup plus violent que beaucoup d’observateurs craignaient (…).
De la diplomatie. En tout état de cause, les Maliens sont sur la voie de trouver une solution endogène à leur crise politique. Il est assez remarquable que, pour une fois, les institutions régionale et internationale leur en laissent la possibilité. Paris était sur une ligne dure face aux putschistes. La réunion du Conseil de sécurité du 25 mai a tourné court. La France venait de perdre le premier set au Conseil de sécurité pour perdre le deuxième avec la réunion de la Cedeao le 30 mai. A Accra, les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest ont accepté que le colonel Assimi Goïta reste président de la transition.
Lorsqu’Emmanuel Macron déclare au JDD: «L’islamisme radical au Mali avec nos soldats sur place? Jamais de la vie! Il y a aujourd’hui cette tentation au Mali. Mais si cela va dans ce sens, je me retirerai», il est flou. Il ne précise pas si cette décision concernerait seulement le Mali ou si elle couvrirait les cinq Etats où Barkhane opère. (…). Malgré les décisions prises en concertation avec le peuple malien, Emmanuel Macron s’est montré d’abord intraitable, puis ambigu sur le sujet. Cette posture n’est partagée ni par le Secrétaire général des Nations Unies, ni par l’Union africaine et elle contribue encore à isoler Paris.
Leslie Varenne
Source: https://reseauinternational.net/emmanuel-macron-senferre-dans-sa-solitude-sahelienne/
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