La situation politique s'est récemment aggravée en Tunisie. L'évolution de la situation dans ce pays d'Afrique du Nord pourrait marquer le début d'une nouvelle période de transformation non seulement en Tunisie, mais également dans tout l'Orient arabe.
Le 25 juillet, le président Kaïs Saïed, conformément à ses pouvoirs constitutionnels, a renvoyé le premier ministre et a suspendu le travail du parlement pour trente jours.
Il y a dix ans, les événements en Tunisie ont marqué le début d'un nouveau chapitre politique dans l'histoire du Moyen-Orient. Il se pourrait que les péripéties de la lutte actuelle pour le pouvoir dans cet Etat deviennent des précurseurs d'autres changements fondamentaux dans la structure politique de plusieurs pays. Si le président tunisien avait suffisamment de détermination, de volonté, de savoir et de capacité pour s'appuyer sur les partis laïques et les syndicats, il pourrait être question d'une nouvelle révolution pacifique qui écarterait les islamistes du pouvoir.
La Tunisie était à l'origine du Printemps arabe, et certains politologues considéraient l'évolution de la situation là-bas comme une expérience réussie garantissant des transformations démocratiques. De nombreuses choses ont été écrites sur le fait que l'alliance des islamistes avec des partis laïques normaliserait la situation dans le pays et même améliorerait la vie des Tunisiens.
Cependant, les résultats réels étaient très différents de ceux attendus par les partisans de cette expérience.
Après le Printemps arabe, le pays a été dirigé par plus d'une dizaine de dirigeants, alors que l'économie était en déclin. Les investissements et les exportations n'ont jamais retrouvé leur niveau d'avant le Printemps arabe, la corruption restait effrénée. D'après les informations gouvernementales, l'économie tunisienne a chuté de 8,6% l'an dernier et encore de 3% début 2021.
La pandémie a provoqué une hausse du chômage: même selon les informations officielles le taux de chômage s'élevait à 17,4% fin 2020 contre 14,9% il y a deux ans.
La Tunisie est devenue le pays d'Afrique le plus touché par la Covid-19 avec près de 574.000 cas de contamination et 19.000 morts pour une population d'environ 12 millions d'habitants. Le système de la santé s'est de facto effondré en montrant un exemple de l'inégalité en ce qui concerne aux vaccins: seulement près de 7% des habitants ont été vaccinés.
Selon plusieurs experts, la crise actuelle en Tunisie conduira très probablement à une baisse de l'influence des islamistes. Car, d'après la majorité de la population, bien des malheurs du pays sont liés à l'emprise des islamistes au parlement.
Le système de gouvernance tunisien est formellement semi-présidentiel: le pouvoir est partagé entre le chef de l'Etat, qui est élu au suffrage universel pour un mandat de cinq ans, et le premier ministre, qui est nommé par le président du parti ayant obtenu la majorité des voix. Après quoi le premier ministre doit constituer le gouvernement à approuver par le parlement. Selon la Constitution, le président est le chef des armées, il contrôle la politique étrangère et la sécurité intérieure.
En fait, la confrontation actuelle se déroule entre le président Kaïs Saïed et le président du parlement Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahda. Après la décision résonnante du président, Rached Ghannouchi a tenté de l'accuser d'un coup d'Etat. Il estimait que l'Occident, surtout la France et les Etats-Unis, se prononcerait contre ces activités antidémocratiques en forçant Kaïs Saïed à changer sa politique, mais il s'est trompé. C'est pourquoi, deux jours plus tard, il a annoncé sa disposition à relancer le dialogue avec le président.
Les sondages indiquent que la solidarité avec la ligne présidentielle grandit, notamment après l'annonce qu'il ouvrira une enquête contre tous ceux qui ont volé 4,8 milliards de dollars au pays (mentionnant 460 personnes).
Le président a chargé Ridha Gharsallaoui, ancien conseiller à la sécurité nationale de la présidence, de diriger le ministère de l'Intérieur.
Toutes ces démarches de Kaïs Saïed bénéficient d'un soutien de plus en plus grand de la population fatiguée par une longue gouvernance incompétente, la corruption, la paralysie politique et la stagnation économique, auxquelles s'ajoute l'épidémie de coronavirus.
Si le président parvenait à mettre en œuvre ses projets et à limiter l'influence des islamistes, cela deviendrait un exemple réussi d'un avancement réel dans l'intérêt du grand public. C'est la raison pour laquelle les médias arabes parlent d'un nouveau modèle tunisien.
Veniamin Popov, analyste politique, ancien ambassadeur de Russie en Tunisie, en Libye et au Yémen
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