L'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) a publié un rapport sur la production de drogue en Afghanistan.
Sa conclusion n'est pas rassurante: les exportations d'opiacés de ce pays augmenteront significativement en l'absence de mesures d'urgence. Dans ces conditions, les nouvelles autorités afghanes, les talibans, ne font pas encore preuve d'une disposition particulière à lutter contre la production de stupéfiants.
Ce rapport analyse les conséquences des récoltes d'opium en 2021. Elles ont augmenté de 8% par rapport à l'année précédente, qui était déjà un record, alors que la superficie des plantations de pavot opiacé avait augmenté de 37%. En 2020, l'Afghanistan représentait 85% de la production mondiale. Cette année, ce triste record pourrait être battu. De plus, la production de méthamphétamine augmente, elle aussi, rapidement en Afghanistan. Tout cela arrive déjà en Europe, marché principal d'écoulement de stupéfiants afghans.
Le changement de pouvoir dans ce pays a entraîné une hausse des prix d'opium. En août, quand les talibans ont pris Kaboul, ils avaient doublé par rapport à mai. Le rapport suppose que cela incitera les Afghans à augmenter les plantations de pavot à opium. Il est semé en novembre, donc l'ampleur du désastre reste inconnue pour l'instant.
Quand, il y a 20 ans, les talibans avaient pris presque entièrement le contrôle de l'Afghanistan, ils avaient rapidement avancé dans la lutte contre la production de drogue. L'ONUDC constatait avec surprise dans ses rapports en 2000-2001, après deux décennies de hausse ininterrompue, que la superficie des plantations de pavot dans le pays (plus exactement dans la partie contrôlée par les talibans) s'était réduite de 91%: d'environ 82 millions d'hectares à près de 7.600 ha. Les talibans ont obtenu ce résultat non seulement en utilisant la force, mais également des concessions sur plusieurs sujets avec les tribus et les communautés locales produisant des stupéfiants. À l'époque, ils pouvaient se permettre économiquement une lutte sans compromis contre la drogue. Ils recevaient bien plus d'argent de la contrebande de produits de consommation via leur pays.
Mais le gage principal du succès d'il y a 20 ans a été le fait qu'à l'époque les talibans le souhaitaient vraiment. Les talibans pensaient qu'en privant l'Afghanistan de sa réputation douteuse de producteur mondial de drogue ils ouvriraient la voie à la reconnaissance internationale de leur pouvoir. Mais ce calcul fut erroné. Après la perte du contrôle de Kaboul par les talibans en 2001, les chiffres de la production de drogue dans le pays sont repartis à la hausse.
Les experts identifient plusieurs raisons pour lesquelles des millions de paysans afghans préfèrent cultiver du pavot à opium plutôt que d'autres plantes. La demande de ce produit ne diminue pas. Le pavot à opium est relativement facile à cultiver et à stocker. Enfin, les trafiquants font crédit aux paysans pour les récoltes à venir. Bien que les revenus des producteurs afghans ordinaires soient dérisoires (selon l'ONUDC, une famille de 6-7 personnes gagne ainsi moins de 1.000 dollars par an), ils restent stables, ce qui est très important pour un pays déchiré par une guerre civile permanente. Ni les Américains ni les autorités afghanes loyales envers eux n'ont réussi à changer cette situation.
Aujourd'hui, le thème de la lutte contre la production de drogue locale n'est pas central dans les négociations internationales sur l'avenir du pays. Il est exigé des talibans de créer des organes de pouvoir inclusifs, de défendre les droits des femmes, mais pas de lutter contre les plantations de pavot à opium. Alors que les talibans, à leur tour, associent aujourd'hui la lutte contre la production de drogue à l'octroi d'aide financière étrangère. Encore en août, le porte-parole des talibans Zabihullah Mujahid déclarait que l'Afghanistan deviendrait un pays sans drogue seulement si les nouvelles autorités bénéficiait du soutien nécessaire de la communauté internationale. "Fournissez-nous des cultures alternatives et nous mettrons un terme aux drogues", disait-il.
Mais on en est encore loin. L'Afghanistan ne mène pas une activité commerciale extérieure depuis la chute du gouvernement d'Ashraf Ghani. Les actifs de l'État sont bloqués dans les banques étrangères, et on ignore qui les contrôlera - les anciennes ou les nouvelles autorités. Tout en se rappelant des nombreuses tentatives ratées des Américains et des gouvernementaux afghans loyaux de substituer la culture de drogue. Rien ne prête à penser que les talibans auront plus de succès, du moins tant que l'effusion de sang se poursuit dans le pays et les paysans ne croient pas en lendemain.
Alexandre Lemoine
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