L'appel du nouveau ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov adressé aux "alliés anglo-saxons" à apporter d'urgence une aide en matériel militaire moderne et en envoyant des militaires étrangers sur le front ne sera certainement pas entendu en Occident. Kiev n'arrive toujours pas à se résigner au fait que la défense de l'Ukraine ne figure pas parmi les priorités de l'Otan. Et même malgré les nouvelles allégations concernant une invasion imminente de la Russie, les pays de l'Alliance, sauf quelques-uns, ne brûlent pas d'envie de lui venir en aide.
Le 5 décembre, le ministre ukrainien de la Défense a déclaré aux médias canadiens que pour faire face à la Russie les forces armées ukrainiennes devaient régler le problème du manque de missiles antiaériens, d'avions de combat et de navires modernes ainsi que de moyens de guerre électronique. Pour cela, il a proposé aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, en contournant les mécanismes standards de l'Otan pour ce genre d'occasions, d'organiser des livraisons d'armements bien plus sérieux que l'Ukraine ne reçoit aujourd'hui.
Le ministre ukrainien déplore également le niveau de soutien de l'Alliance en termes d'instructeurs. Il a proposé d'augmenter significativement leur nombre et de les déployer directement à l'avant, en y hissant des drapeaux des États-Unis, du Canada et du Royaume-Uni. Il est de facto question de transformer des militaires étrangers en "bouclier humain" pour l'armée ukrainienne.
Pour le moment, le chef du Pentagone Lloyd Austin n'a annoncé aucune nouvelle initiative pour la protection de l'Ukraine, bien qu'il ait confirmé son plein soutien à la liberté et à l'indépendance de ce pays.
En dehors des alliés "anglo-saxons", le soutien réel de l'Ukraine n'est pas très impressionnant. Très récemment, l'Europe avait même remis en question la protection des pays baltes membres de l'Otan contre une hypothétique "menace russe". Les États-Unis avaient alors réussi à resserrer les rangs de l'alliance et à engager plusieurs démarches militaires afin de garantir l'application de l'article 5 sur la sécurité collective. Outre de nouvelles armes, ces pays ont bénéficié de la présence permanente de forces terrestres et aériennes d'autres pays de l'Alliance.
Alors que l'Ukraine ne dispose même pas d'un tel soutien assez symbolique. Depuis 2014, il existe dans les pays de l'UE un boycott tacite de l'aide en armes létales à l'Ukraine. Seul le bloc "anglo-saxon" des membres de l'Otan, auquel appelle Kiev aujourd'hui, se retenait bien moins auparavant.
Le penchant pour la charité n'est pas du tout inhérent à l'Otan, qui plus est à hauteur de dizaines de milliards de dollars. L'ex-président américain Donald Trump forçait par la carotte et le bâton les membres européens à augmenter au moins leurs propres dépenses pour la défense. Ces derniers étaient très conservateurs même en matière d'acquisition de nouveaux armements pour eux-mêmes, préférant orienter les budgets publics sur les dépenses sociales. Il serait pour le moins naïf d'espérer qu'ils se hâteront d'armer l'Ukraine au frais du contribuable.
Quelle aide réelle a été apportée à Kiev jusqu'ici par ses alliés étrangers? Pendant les premières années du conflit, les pays d'Europe de l'Est y avaient refourgué le reste de blindés légers, au total plus de cent véhicules de transport de troupes et de combat d'infanterie, de l'artillerie et des munitions de l'époque du pacte de Varsovie. Les États-Unis ont envoyé à l'Ukraine quatre navires de classe Island. Mais ce ne sont que d'anciennes vedettes de patrouille. Ils ne se distinguent ni par leur vitesse ni par un armement redoutable ni par la navigabilité.
Les missiles sol-air antichars Javelin remis par les États-Unis sont devenus un véritable symbole du soutien de l'Ukraine face à la Russie. Mais cette arme efficace était déjà distribuée par Washington avec enthousiasme à tous les voisins de la Russie. Et l'armée ukrainienne est loin d'être leur principal bénéficiaire. Non seulement les pays baltes mais également la Géorgie possèdent déjà un plus grand nombre de tels vecteurs et missiles.
Le premier grand succès a été seulement un contrat avec la Turquie sur des drones de combat et de reconnaissance Bayraktar et un contrat avec le Royaume-Uni sur la construction de vedettes lance-missiles. Mais ce n'est qu'une question d'un avenir lointain, et ces forces ne suffisent clairement pas pour faire face à la Russie.
L'envoi de militaires de l'Otan sur le front paraît encore plus incroyable. Le point commun de toutes les opérations des pays alliés, cette dernière décennie, a été l'usage le plus large de ressources humaines locales en tant que force combattante principale, subissant les pertes principales. Même en Syrie, dans les opérations contre les terroristes et les Kurdes, l'armée turque a envoyé en première ligne de nombreuses unités de combattants locaux au lieu de ses propres unités.
Les espoirs de l'Ukraine que les partenaires de l'Otan ou les alliés "anglo-saxons" se mettent avec eux épaule contre épaule sur la ligne de démarcation du Donbass ou à la frontière avec la Russie sont infondés. C'est contraire à toute leur politique et stratégie actuelle. Et si l'Ukraine veut défier directement la Russie militairement, elle devra compter seulement sur ses propres forces et, peut-être, sur des livraisons un peu plus généreuses de munitions et d'armements de l'étranger.
Contrairement aux membres transatlantiques de l'Otan, les principales puissances européennes de l'Alliance comprennent bien mieux les risques d'un conflit destructeur sur le continent et cherchent effectivement à éviter toute escalade.
Alexandre Lemoine
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