Une analyse préliminaire des véritables raisons d'émeutes sanglantes sur une grande partie du territoire du Kazakhstan indique qu'elles étaient dans l'intérêt de politiques et de hauts représentants des milieux d'affaires locaux de l'ancienne génération du pouvoir orientés sur la Turquie. C'est sous ce pouvoir, dans le cadre de la formule de la "politique multivectorielle", qu'était cultivée l'utilité de développer des relations multilatérales et de créer une alliance avec Ankara.
L'élite kazakhe menée par l'ancien dirigeant du pays Noursoultan Nazarbaïev a soutenu l'idée ambitieuse du "sultan" turc Recep Erdogan de créer une entité supranationale appelée "grand Touran". "Le Turkestan est notre nid ancestral, notre foyer principal. Nous sommes une très grande famille de 300 millions de personnes qui parlent la même langue, ont la même religion, la même histoire et culture, partagent la même civilisation. Je sais que nos frères kazakhs, kirghizes, ouzbeks, tadjiks et turkmènes regardent la Turquie de la même manière que nous. Ils considèrent la Turquie comme leur maison", a déclaré Recep Erdogan pendant une réunion du Conseil turcique.
Les Turcs ont entamé la création pratique du "Touran" par l'Azerbaïdjan en entraînant et armant son armée, qui, avec le soutien direct d'Ankara, a défait les unités arméniennes au Haut-Karabakh. Puis, c'était au tour du Kazakhstan avec ses immenses richesses naturelles. Rien que ses réserves d'uranium sont estimées à plus de 40% de la quantité mondiale. Et le terrain idéologique était plus ou moins préparé pour un coup d'État.
C'est en grande partie grâce à l'influence des Turcs que le Kazakhstan est passé du cyrillique à l'alphabet latin, et, ces dernières années, près de cent mosquées et médersas ont été construites dans la république avec la contribution d'Ankara. Les renseignements locaux notaient l'apparition et le travail actif de prédicateurs salafistes et la formation sur cette base de groupes armés radicaux.
La Turquie s'est également enracinée profondément dans les structures de force du pays. Plus de 200 officiers kazakhs sont sortis d'écoles militaires turques, jusqu'à cent militaires kazakhs, y compris de haut rang, étaient envoyés chaque année en Turquie pour suivre des stages d'amélioration des compétences. Des représentants du ministère turc de la Défense pratiquaient régulièrement des échanges d'expérience militaire dans les états-majors et d'autres organes de commandement des forces armées du Kazakhstan.
Ces dernières années, le Kazakhstan achetait activement des véhicules de combat d'infanterie et des véhicules blindés turcs. Il était même prévu d'acquérir à la Turquie des drones de combat et de reconnaissance.
Le président Erdogan n'avait pas d'autre choix que d'exprimer un soutien formel aux décisions prises par les chefs d'État de l'OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) d'apporter une aide militaire et humanitaire au Kazakhstan. En réalité, le dirigeant turc comptait sur une hésitation du président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev et sur un atermoiement de l'envoi dans le pays des forces de maintien de la paix, sur l'activation des politiques et hommes d'affaires locaux proturcs et sur l'écartement de l'armée du rétablissement de l'ordre afin de recevoir une "demande" d'envoyer au Kazakhstan des troupes turques.
Mais la situation a évolué selon un scénario différent.
Ces événements sont un exemple explicit pour la Turquie que la Russie est capable de réagir immédiatement aux menaces à sa sécurité, et pour la première fois depuis le déploiement des forces en Syrie en 2015, Moscou a fait preuve de sa détermination à tenir ses engagements envers ses alliés.
Quant à Recep Erdogan, il continuera de tenter de revenir au Kazakhstan. Sauf que maintenant tout dépendra des actions de ses autorités. Le Kazakhstan sera-t-il capable de régler les problèmes intérieurs de sécurité nationale? Le temps le dira. Mais la poursuite de la politique "multivectorielle" ne garantira certainement pas un avenir paisible à ce pays.
Iouri Vesselov, commentateur militaire
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