La nouvelle donne dans la géopolitique internationale représente indéniablement un facteur clé dans les campagnes politico-médiatiques promues par les Etats-Unis face à l’axe de la multipolarité. Mais tout porte également à croire que la géoéconomie est une question à considérer avec la plus grande attention.
Les échecs répétés des nostalgiques de l’unipolarité au sein du bloc occidental et de certains de leurs suiveurs à divers endroits du monde ont atteint effectivement un degré de paranoïa inquiétant. A cet effet, plusieurs raisons peuvent être évoquées.
Parmi elles - les succès de l’ordre multipolaire actuel à l’échelle internationale, notamment grâce à une coordination étroite entre la Chine, la Russie et plus généralement le grand espace eurasien. Le rappel désormais régulier de la part de Pékin et Moscou qu’une minorité mondiale ne serait-ce que du point de vue démographique ne peut pas dominer les affaires planétaires, ainsi qu’un soutien de plus en plus accru de nombre de pays des différentes régions du monde, aux processus en cours, entre autres.
Mais ce n’est pas tout. Si le bouleversement observé du point de vue géopolitique et militaro-sécuritaire est indéniable, il ne faut pas pour autant négliger l’aspect géoéconomique de la question. Et l’hystérie observée principalement du côté de Washington, y compris autour du «dossier ukrainien» montre la vive inquiétude du cité en ce qui concerne les nouvelles réalités économiques en cours ou qui pourraient voir le jour prochainement.
La Chine est devenue la première puissance économique mondiale en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat – ayant à ce titre dépassé les USA. Et rien aujourd’hui ne peut sensiblement faire basculer cette réalité, d’autant plus à l’heure du grand projet international des Nouvelles routes de la soie, promu par la RPC. S’ajoute à cela une interaction très importante entre la Chine et la Russie (6ème puissance économique mondiale, toujours en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat). Les échanges entre les deux pays pour l’année 2021 ont dépassé les 140 milliards d’équivalent de dollars avec le ferme objectif fixé de porter le chiffre à 200 milliards annuels d’échanges économico-commerciaux entre les deux nations.
Aussi, faudrait-il oublier l’interaction montante entre la Chine et l’Union économique eurasiatique (composée actuellement de la Russie, du Kazakhstan, de la Biélorussie, de l’Arménie et du Kirghizistan)? Pour rappel, l’UEEA en tant que bloc de pays est aujourd’hui la quatrième puissance économique mondiale en termes de PIB-PPA, comparable à celui du Japon. Cette orientation s’accompagne déjà d’un agenda favorable aussi bien du leadership de la Chine, que de l’UEEA.
Parlons maintenant de l’Union européenne. Bien que l’establishment politique bruxellois reste résolument orienté sur l’alliance avec Washington et dans la confrontation avec l’axe sino-russe, il n’empêche que les basculements, y compris dans la sphère économique – sont déjà progressivement en cours. Peut-être d’ailleurs y compris en raison d’un écart fort important entre les bureaucrates de Bruxelles et l’entreprenariat européen, ce dernier ne partageant souvent pas, à l’instar de nombreux citoyens de la vieille Europe l’idée de la confrontation avec Pékin et Moscou, bien au contraire.
A cet égard, faudrait-il rappeler que la Chine, malgré toute l’hostilité de l’axe atlantiste à son encontre a déjà dépassé les USA pour devenir le principal partenaire économico-commercial de l’UE, approchant le chiffre des 600 milliards d’équivalent de dollars en 2020? En ce qui concerne la relation UE-Russie et malgré des sanctions réciproques en vigueur depuis 2014, l’année écoulée a été marquée par des échanges dépassant les 220 milliards d’équivalent de dollars (en hausse de 44% par rapport à l’année 2020). Et cela en tenant compte des nombreuses opportunités économiques perdues pour les entreprises de l’Union européenne avec la Russie, toujours depuis 2014.
L’élément géoéconomique est donc bien là. Washington observe avec vive inquiétude ces nouvelles orientations qui accompagnent les bouleversements géopolitiques. Aujourd’hui dans le Top 10 des principales économies mondiales – moins de la moitié sont celles des pays occidentaux: Etats-Unis – 2ème, Allemagne (première économie de l’UE) – 5ème mais qui sera bientôt dépassée par la Russie, France et Royaume-Uni – respectivement 9ème et 10ème, avec la perspective fort probable d’être dépassés à l’horizon des 5-8 prochaines années par la Turquie et le Mexique notamment et donc de quitter le Top 10 des principales économies du monde.
Cette perspective pas lointaine de n’avoir que deux pays occidentaux qui resteront dans le classement, avec une Allemagne en leader économique de l’Europe bruxelloise et qui à l’instar de toute l’UE a également la Chine en qualité de principal partenaire économico-commercial, tout en ayant des intérêts économico-commerciaux, y compris énergétiques, fort poussés avec Moscou – créera un énorme défi pour l’establishment étasunien et sa volonté de poursuivre la domination de ses «alliés» européens.
Et en tenant compte du fait que l’UE – qui tout en étant un bloc considéré comme une superpuissance économique, est également considéré comme un «nain géopolitique» de part justement la domination exercée par Washington sur Bruxelles, une réalité qui déplait fortement aux partisans souverainistes et pro-multipolaires en Europe même, sans oublier une fois de plus les cercles des entrepreneurs européens, qui ne souhaitent pas sacrifier leurs intérêts économico-commerciaux avec la Chine et la Russie pour le compte de l’establishment politique US – il est fort à parier que les années à venir nous réservent encore beaucoup de perspectives intéressantes.
D’où l’importance – de ne pas céder aux campagnes de diffamation organisées depuis l’Outre-Atlantique, pour nuire non seulement aux principaux adversaires de Washington, mais aussi aux Européens eux-mêmes, le tout pour ne pas permettre l’apparition de conditions qui feront à terme des USA une puissance régionale de moyenne envergure.
Mikhail Gamandiy-Egorov
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