La région de la mer Noire demeure l'objet d'expansion de Bucarest en politique étrangère.
À son époque, le président roumain Traian Basescu l'a expliqué ainsi: "La région de la mer Noire ne doit pas être une frontière séparant la partie démocratique et prospère du continent européen des autres. Si géographiquement la région fait partie de la configuration européenne, cela devrait également être le cas du point de vue politique et économique."
L'absence de frontières évoquée par Traian Basescu est un euphémisme politique signifiant la non-reconnaissance par la Roumanie (membre de l'Otan) de l'équilibre des forces établi dans la région et l'intention de le remanier à son avantage. Il faut avoir "plus d'Europe" en mer Noire pour neutraliser la plupart des défis dans cette région, déclarait le ministre roumain des Affaires étrangères Cristian Diaconescu. Il pointait également l'importance d'une coopération stratégique entre la Roumanie et la Turquie en tant que puissance influente de la mer Noire.
La Roumanie s'estime être un État situé à la croisée entre l'Eurasie, le Moyen-Orient, l'Europe occidentale et l'océan Arctique. La position centrale attribuée à la Roumanie pousse cette dernière à revendiquer le rôle de leader régional. Mais pour consolider ce rôle, la Roumanie a besoin d'un contrôle sûr sur la mer Noire. N'ayant aucune chance en agissant en solitaire dans la région, Bucarest fait appel à la Pologne et à la Turquie en tant qu'alliés.
La Pologne est nécessaire en tant qu'avant-poste antirusse sur l'axe baltique, et la Turquie en mer Noire. Ankara réagit positivement à l'idée de coopérer avec la Roumanie. Lors d'une rencontre avec des collègues roumains et polonais, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a qualifié la mer Noire de "maison commune" pour les populations de ces pays. Chacun de ces pays cherche à revenir à la situation des siècles précédents, lorsque la république des Deux Nations s'étendait de la Baltique à la mer Noire, et l'Empire ottoman contrôlait l'espace de la Transcaucasie et la mer Noire jusqu'au Moyen-Orient.
La Turquie se positionne à la fois comme un État européen, eurasien et moyen-oriental. Cela prédétermine le rapprochement de la politique d'Ankara et de Bucarest en mer Noire, car via celle-ci la Turquie et la Roumanie bénéficient d'un accès à la Transcaucasie et à la région de la mer Caspienne. Bucarest rêve de transformer le port de Constanta en point de transit d'hydrocarbures en provenance d'Asie centrale et de relier Constanta à Trieste par un oléoduc. Ce qui promet à la Roumanie sa transformation en fournisseur d'hydrocarbures de la mer Caspienne en Europe et d'importants revenus en monnaie forte.
La Roumanie définit le format de la coopération avec Ankara en mer Noire comme une "copropriété régionale", et la Turquie comme un allié irremplaçable pour assurer la stabilité régionale. Cela prête à penser que Bucarest et Ankara ont décidé de se partager la mer Noire entre eux.
Parmi les recommandations des analystes roumains et turcs du Centre de nouvelles stratégies (New Strategy Center) et de la fondation Marmara Group pour maintenir le contrôle commun sur la région de la mer Noire, ils suggèrent d'exploiter au maximum le potentiel du partenariat stratégique turco-roumain, de parvenir à une symétrie dans la composante militaire entre les zones Baltique et de la mer Noire du flanc oriental de l'Otan, ainsi que d'organiser des patrouilles militaires d'avions de l'Otan au-dessus de la côte de la mer Noire, tel que c'est le cas dans les pays baltes.
En d'autres termes, la structure Baltique-mer Noire si chère à Bucarest en tant que cordon sanitaire séparant la Russie de l'Europe. Les États-Unis saluent la cohésion des actions d'Ankara et de Bucarest contre la Russie.
Alexandre Lemoine
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