Au cœur de la crise actuelle autour de l'Ukraine se trouve l’élargissementen cours de l'Otan vers l'Est. L'ancien président de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, Pierre Lellouche, est convaincu que pour résoudre le conflit avec la Russie par la diplomatie, le bloc militaire occidental doit imposer un moratoire sur l'expansion pour une durée de 20 ans. Le principe de «la porte ouverte» de l'Otan ne vaut pas la peine de détruire l'Ukraine.
Après le retrait partiel des troupes russes de la frontière ukrainienne, un règlement diplomatique de la crise ukrainienne pourrait être envisagé, écrit l'ancien président de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, Pierre Lellouche, dans un article du Figaro. Comme le rappelle l'auteur, au cœur de la crise se trouve l’élargissement continu de l'Otan depuis les années 1990 jusqu'aux frontières de la Russie, et du côté de la Russie, on a la question du respect de ses intérêts et le droit d'assurer sa sécurité à ses frontières occidentales.
En effet, jusqu'en décembre 2021, la Russie a, comme le fait remarquer le diplomate français, répondu à l'élargissement progressif de l'Otan après la fin de la guerre froide par une stratégie de conflits dits gelés: Ossétie du Sud et Abkhazie, Transnistrie et, bien sûr, le Donbass en 2014.
Cependant, en décembre 2021, estimant que le moment était venu après le retrait infructueux des troupes américaines d'Afghanistan au milieu des problèmes internes de l'administration de Joe Biden et de l'énorme dépendance des Européens au gaz russe, Vladimir Poutine a lancé contre toute attente un ultimatum à l'Occident: soit ils s'engagent à geler toute nouvelle expansion de l'Otan en Europe de l'Est et dans le Caucase, en plus de cesser toute activité militaire aux frontières de la Russie, sinon la réponse de la Russie sera d'encercler l'Ukraine avec 150 000 soldats russes et la perspective d'une invasion que les Américains considèrent comme inévitable.
Comme le note l'expert, jusqu'à ces derniers jours, il semblait que les négociations étaient finalement dans une impasse et que la seule perspective était la guerre. Et si la guerre éclate, les Ukrainiens devront la combattre seuls, souligne Pierre Lellouche. Les Etats-Unis ont, en effet, déplacé leur ambassade et ordonné à leurs citoyens de quitter le pays dans les 48 heures tandis que le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a même précisé qu'aucun soldat américain ne viendrait les chercher. Il en va de même pour tous les autres alliés. «Le président ne mettra pas la vie de nos hommes et femmes en uniforme en danger en les envoyant dans une zone de guerre pour sauver des personnes qui auraient pu partir maintenant mais ont choisi de ne pas le faire», a-t-il déclaré.
Néanmoins, une sortie de crise diplomatique existe bel et bien, et elle peut reposer sur quatre éléments, estime Pierre Lellouche.
Le premier élément est un moratoire sur l'élargissement de l'Otan pour une période suffisamment longue – sur 20 ans - pour tenir compte des intérêts de sécurité de la Russie, mais en même temps pour préserver le principe des «portes ouvertes». Comme le rappelle Pierre Lellouche, c'est cette position, sans le dire haut et fort, que les Français et les Allemands ont prise en 2008 au sommet de l'Otan à Bucarest.
Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont, ensuite, opposés avec succès à la pression de Barack Obama pour que l'Ukraine et la Géorgie rejoignent l'Otan en échange d'une sorte de «porte ouverte» à long terme pour ces pays. Aujourd'hui, il y a des voix respectées même aux Etats-Unis qui mettent en garde contre les risques que cette adhésion pourrait entraîner, note l'expert français. Observateur Continental a signalé à ce sujet que, malgré tout, toujours actuellement, «les Etats-Unis voudraient disposer d'un aérodrome ou d'une base en Géorgie» et que Wolfgang Ischinger, président de la Conférence de sécurité de Munich a récemment fermement indiqué que «c'était une erreur d'offrir à l'Ukraine et à la Géorgie l'adhésion à l'Otan en 2008».
Durant la conférence de Munich de 2022, le président, Volodymyr Zelensky, a demandé aux Occidentaux de cesser leur politique «d’apaisement» vis-à-vis de la Russie et réclamé un calendrier «clair et réalisable» de l’adhésion de son pays à l’Otan.
Le deuxième élément serait le retrait des troupes russes et occidentales des frontières, renforcé par une interdiction du déploiement d'armes nucléaires à moyenne portée sur le territoire européen dans le cadre de nouveaux traités de maîtrise des armements. Le troisième élément est de résoudre la question des territoires touchés par des «conflits gelés» par des élections sous contrôle international pour un éventuel changement du statut de ces territoires.
Enfin, tout le spectre des relations entre l'Europe et la Russie devrait figurer dans les accords d'Helsinki de 1975 actualisés et les accords de Paris de 1994 afin de rétablir entre eux tous les liens politiques, économiques et sociaux, insiste Pierre Lellouche.
«30 ans après l'effondrement de l'URSS et du Pacte de Varsovie, il est temps d'imaginer l'avenir du continent européen au-delà des systèmes de blocs militaires qui ont régulé le statut de l'Europe pendant un demi-siècle de guerre froide», a déclaré le diplomate français. Selon lui, la crise ukrainienne offre une telle opportunité.
En tout cas, le principe de la «porte ouverte» de l'Otan ne mérite pas d'être payé en détruisant l'Ukraine et en gelant davantage l'ordre européen pour les décennies à venir, conclut-il.
Olivier Renault
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