02.06.2022
Le Royaume-Uni projette de créer en Europe une nouvelle alliance politico-militaire et économique pour faire contrepoids à l'Union européenne, appelée Communauté européenne (European Commonwealth). Cette communauté est censée unir sous l'égide du Royaume-Uni la Pologne, l'Ukraine, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie et probablement la Turquie.
Cette initiative a été évoquée en marge du Forum économique mondial de Davos du 22 au 26 mai, comme l'a annoncé à la fin du forum le journal italien Corriere della Sera.
Les Britanniques ont aperçu la tension survenue entre le régime de Kiev et les poids lourds européens, l'Allemagne et la France, en l'absence chez ces derniers de la volonté d'augmenter les livraisons d'armements lourds à Kiev et de forcer l'adhésion de l'Ukraine à l'UE. Londres tente d'ériger entre l'Europe orientale et occidentale un avant-poste qui permettra au Royaume-Uni d'influencer l'architecture européenne de la sécurité et de prendre des décisions importantes dans la politique européenne. Moscou gardait traditionnellement des relations neutres avec Berlin et Paris même en période d'aggravation des relations avec le reste de l'Europe et l'Otan. Chose que Londres et le premier ministre britannique Boris Johnson n'apprécient pas.
La revue Politico rapporte dans son article intitulé "Pas d'entente entre les dirigeants européens sur les questions clés dans le dossier ukrainien" que l'Allemagne, la France et l'Italie ne souhaitent pas la victoire de l'Ukraine dans la guerre actuelle, craignant une plus grande déstabilisation de l'Europe orientale et un isolement économique de la Russie, car cela conduirait à davantage de problèmes avec les importations d'hydrocarbures russes.
Le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le premier ministre italien Mario Draghi plaident pour un règlement du conflit en Ukraine à la table des négociations, comprenant que l'Europe a besoin de la Russie comme d'un pôle de force supplémentaire dans le dialogue avec les Anglo-Saxons. Sans coopérer avec la Russie, les capitales européennes s'inclineront forcément face à Washington et Londres dans la concurrence géopolitique.
Après la sortie du Royaume-Uni de l'UE, Londres cherche un moyen pour conserver son influence sur le continent européen. Albion craint que l'Europe devienne moins "anglo-saxonne" et plus "allemande". La position de Paris exacerbe ces craintes. La France possède une double nature géopolitique. Profitant de sa position géographique, elle peut développer sa coopération à la fois avec les Anglo-Saxons et avec l'Allemagne continentale. Cela est arrivé plus d'une fois dans l'histoire.
Le Brexit a poussé la France à revoir l'équilibre des forces en Europe et à se rapprocher de l'Allemagne. Une alliance avec le Royaume-Uni n'apporterait rien aux Français, car cela ne les aiderait pas à renforcer leurs positions au sein de l'UE. Voyant la France comme un concurrent, Londres limitera au maximum sa marge de manœuvre.
Alors que l'Allemagne est intéressée par un partenariat avec la France. L'alliance franco-allemande est capable d'évincer les Anglo-Saxons, c'est pourquoi Londres "passe par l'arrière" en créant une alliance d'États à la frontière orientale de l'Allemagne. Cette alliance possède une orientation non seulement antirusse, mais également antieuropéenne.
C'est le développement de l'idée d'une nouvelle alliance trilatérale proposée par Londres à la Pologne et à l'Ukraine plus tôt. L'élargissement d'une telle Communauté européenne avec son expansion jusqu'aux pays baltes et la Turquie serait géopolitiquement logique. Cette alliance n'aurait pas de stabilité géopolitique sans accès à la mer Baltique et à la mer Noire, car cela ne bloquerait pas l'accès de la Russie à l'océan Atlantique via la Méditerranée et aux littoraux britannique et américain via la mer du Nord. De plus, les pays baltes et la Turquie doivent bloquer les flancs de l'axe Baltique-Noire, empêchant la Russie d'accéder à l'espace européen.
Sachant que la signification stratégique de la mer Baltique augmente avec l'intention de la Finlande et de la Suède d'adhérer à l'Otan. Les exercices Baltops 22 de l'Alliance s'y dérouleront du 5 au 17 juin avec la participation de la 6e flotte américaine et de 7.000 militaires de 14 pays, dont la Suède et la Finlande, de 75 avions et 45 navires pour s'entraîner à mener une opération offensive contre un ennemi égal, c'est-à-dire la Russie. Londres soutient l'adhésion de Stockholm et d'Helsinki à l'Otan, cherchant à transformer la mer Baltique en eaux intérieures de l'Alliance. Le contrôle total de la Baltique permettra aux forces de l'Otan de bloquer les eaux peu profondes près de l'île suédoise de Gotland et le golfe de Finlande.
L'aide militaire de Londres au régime de Kiev (1,3 milliard de livres) équivaut pratiquement à l'aide des pays de l'UE réunis (1,5 milliard d'euros). L'aide militaire de la Pologne (1,7 milliard de dollars) dépasse celle de l'Allemagne, de la France et de l'Italie. Ce qui témoigne une fois de plus d'un intérêt accru des Britanniques et des Polonais pour l'Ukraine.
Il est peu probable qu'économiquement parlant le Royaume-Uni parvienne à remplacer l'UE pour la Pologne et les pays baltes, compte tenu des problèmes dans l'économie britannique. Si l'idée de la Communauté européenne (comme contrepoids à l'UE) était tout de même imposée, le secteur politico-militaire serait le principal domaine d'interaction de Londres avec ses participants. Les pertes économiques seraient inévitables dans le cadre d'une telle coopération.
Alexandre Lemoine
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