21.06.2022
Le monde unipolaire était clair et assez prévisible. Toutes les décisions clés étaient d'une manière ou d'une autre prise à Washington, alors que les autres capitales mondiales s'y pliaient sans grandes objections. La domination mondiale des États-Unis fonctionnait sans faille.
Ou presque sans faille. Par exemple, la fronde franco-russo-allemande de 2003 contre l'invasion américaine en Irak sans l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies a été une démarche assez historique de l'Europe continentale. Mais cela n'a rien donné de facto. Les Américains ont tout de même envahi l'Irak sans demander l'avis de l'ONU, alors que les aspirations de l'Allemagne et de la France à une plus grande indépendance des États-Unis dans les affaires internationales sont activement et efficacement empêchées depuis.
Mais la situation se complique avec un ordre mondial multipolaire. Qui établira les nouvelles règles du jeu et selon quels algorithmes? Est-il possible de transformer les institutions conçues pour la domination des États-Unis dans l'intérêt d'un plus grand cercle d'acteurs ou leur redémarrage maximal est nécessaire? Jusqu'où ira la régionalisation des processus internationaux et quand le système mondial basé sur le dollar éclatera-t-il en zones monétaires? Comment les nouveaux centres régionaux concurrenceront ou interagiront-ils entre eux? Y aura-t-il parmi eux un pôle qui revendiquera à terme un leadership mondial inconditionnel?
Il y a clairement plus de questions que de réponses. Dans l'ensemble, pour des raisons évidentes, un monde multipolaire est soumis à des changements permanents. En d'autres termes, il est instable. Cette circonstance le rend forcément plus conflictuel. Certes, un ordre mondial multipolaire est plus juste qu'unipolaire. Mais tant qu'il ne sera pas clair qui et de quel droit établit les critères de cette justesse, il y aura de grandes turbulences dans les relations internationales.
L'ONU pourrait jouer un rôle constructif pour empêcher la chaotisation du monde en période de transition. L'unique organisation internationale universelle pourrait devenir une plateforme reconnue par tous pour convenir des intérêts des différents centres de force. Mais le fait est que sous sa forme actuelle l'ONU ressemble de plus en plus à une décoration pour un bon mais vieux film. C'est pourquoi le principe en soi de coordination globale des efforts pour régler les problèmes de l'humanité doit évidemment rester de rigueur. Mais il sera possible d'adapter l'ONU à la capacité à faire face aux nouveaux défis seulement par le biais d'un redémarrage profond, dont les paramètres restent encore à déterminer.
La nécessité de préserver des organisations internationales spécialisées telles que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) est tout aussi évidente. Les risques de violation de la non-prolifération des armes de destruction massive (ADM) dans les décennies à venir sont trop élevés pour affaiblir ou, qui plus est, supprimer les mécanismes actuels de contrôle des arsenaux dangereux de différents pays. Quand Téhéran débranche les caméras de surveillance de l'AIEA sur une partie de ses sites nucléaires, c'est un signal trop inquiétant pour être ignoré.
L'humanité est capable de survivre à une crise de confiance pratiquement dans tout autre secteur, mais elle ne peut pas se permettre de désactiver les mécanismes internationaux de prévention de la prolifération de l'ADM à travers la planète.
Il est impossible de dire aujourd'hui quelles organisations mondiales et quels mécanismes internationaux survivront à la période de mise en place d'un monde multipolaire.
La logique obsolète du monde unipolaire devient déjà révolue, mais les paramètres de base et les rapports d'un ordre mondial multipolaire ne sont pas encore définis. Par conséquent, dans les années à venir ces paramètres feront l'objet de sérieux litiges et de conflits peu prévisibles entre les différents centres de force. C'est pourquoi l'héritage positif du système bipolaire de freins et de contrepoids sous la forme de plusieurs organisations et traités internationaux fondamentaux, qui ont survécu à trois décennies d'hégémonie américaine, devrait être conservé au moins en partie dans les nouvelles conditions.
Alexandre Lemoine
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