22.06.2022
Les dirigeants européens qui se sont rendus à Kiev ne sont pas prêts à appeler publiquement l'Ukraine à relancer immédiatement les négociations avec la Russie. Le moment est mal choisi pour cela: la société ukrainienne est convaincue que même des concessions symboliques seraient un abandon de position injustifié. La position des États-Unis joue également un rôle important, alors qu'ils soutiennent le président Volodymyr Zelensky. Mais la fatigue des pays de l'UE du conflit pourrait changer cette situation.
À première vue, la récente visite collective à Kiev du président français Emmanuel Macron, du chancelier allemand Olaf Scholz et du premier ministre italien Mario Draghi ne prête à aucune intrigue. La capitale ukrainienne devient aujourd'hui un lieu de pèlerinage des politiciens, des responsables et des dirigeants d'organisations internationales. Pour chacun d'entre eux, c'est un coup politique sûr: ils peuvent montrer leur solidarité avec le peuple ukrainien, leur propre courage et réaffirmer la détermination inchangée à faire face à Moscou.
Quant au président Zelensky et à son équipe, l'accueil d'invités de marque européens représente également un grand bonus indéniable en termes d'image. La visite d'un tel niveau permet de maintenir le dossier ukrainien au centre de l'attention publique internationale, de promouvoir activement ses exigences envers l'UE et de conserver une grande popularité politique au niveau national.
Bien évidemment, toutes les paroles nécessaires ont été prononcées pendant les rencontres à Kiev, toutes les promesses ont été réaffirmées. La Russie subira de nouvelles sanctions (même si un embargo total sur le gaz revendiqué par Kiev soit peu plausible), alors que l'Ukraine bénéficiera d'un soutien militaire et économique supplémentaire.
L'examen de l'octroi à Kiev du statut de candidat officiel à l'UE sera accéléré au maximum, même si après les recommandations de la Commission européenne, les partisans de l'Ukraine devront encore persuader plusieurs membres récalcitrants de l'UE. Les efforts visant à contribuer à l'exportation de céréales ukrainiennes se poursuivent (on ignore comment l'UE pourrait garantir des couloirs de sécurité en mer Noire). Les dirigeants européens ont réaffirmé leurs positions concernant le Donbass et la Crimée: le principe d'intégrité territoriale de l'Ukraine reste immuable.
La question est de savoir si ce contenu évident et en grande partie protocolaire des pourparlers à Kiev avait un second plan. Selon certains experts, c'était forcément le cas. Comme quoi les dirigeants européens étaient venus inciter le président ukrainien à relancer les négociations avec la Russie. Peut-être qu'ils proposaient même d'accorder des concessions à Vladimir Poutine pour rétablir la paix ou au moins une trêve.
Il existe au moins deux raisons pour une telle approche du côté des hôtes européens. Premièrement, les dirigeants de la France, de l'Allemagne et de l'Italie sont forcément préoccupés par l'évolution de la situation sur le champ de bataille. Deuxièmement, il pourrait exister des inquiétudes quant aux changements d'opinion publique dans les grands pays européens où se ressent de plus en plus la fatigue grandissante du conflit qui perdure dans l'est de l'Europe. Il serait impossible de maintenir le consensus actuel sur le dossier ukrainien au niveau des élites si de tels changements conduisaient à la division au sein des sociétés européennes.
Mais la question est de savoir si le président Zelensky est prêt à entendre de tels conseils? Car tout écart des exigences maximalistes actuelles envers Vladimir Poutine pourrait provoquer des risques politiques personnels supplémentaires pour lui.
Toutefois, Volodymyr Zelensky possède un atout supplémentaire: le soutien immuable du président américain Joe Biden.
Si les dirigeants européens peuvent hésiter et commencer à songer à un compromis avec le président Poutine, Joe Biden n'a aucune raison de changer sa position dure actuelle dans le conflit russo-ukrainien, du moins jusqu'aux élections de mi-mandat de novembre au Congrès. Car ses adversaires politiques attendent le moindre prétexte pour accuser le président d'"abandonner l'Ukraine à la merci" de Poutine, comme il avait déjà "abandonné" l'Afghanistan "à la merci" des talibans.
D'un autre côté, l'Ukraine continuera d'exister en Europe, et non en Amérique. Les principales ressources pour la reconstruction après le conflit sont tout de même attendues de la part de l'Europe, pas des États-Unis.
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Andreï Kortounov, docteur en Histoire, Directeur général du RIAC (Conseil russe des affaires internationales)
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