25.10.2022
Les différends sur l'assistance militaire à destination de l'Ukraine ne s'apaisent pas en Allemagne. Au printemps dernier, le Bundestag a adopté une résolution sur la l'envoi d'armes lourdes à Kiev. La décision a, également, été soutenue par le chancelier allemand, Olaf Scholz. L'Allemagne a des chars qu'elle pourrait offrir à l'Ukraine, mais ne le fait pas. Cela met l'Ukraine en colère.
Le débat sur les armes à donner à l'Ukraine est en réalité un débat sur l'Allemagne elle-même, assure Anne Applebaum du The Atlantic. La journaliste rappelle que le chancelier allemand, Olaf Scholz, a prononcé un discours inédit au Bundestag en février dernier. Il a déclaré qu'il ajouterait 100 milliards d'euros au budget de la défense cette année alors que son pays est plutôt habitué à l'esprit antimilitaire et à la démilitarisation depuis la fin de Seconde Guerre mondiale. Tout en, cependant, faisant savoir que «la Bundeswehr n'a pas -à elle seule- les moyens de contenir toutes les menaces futures», Olaf Scholz a précisé: «Nous le faisons aussi pour nous, pour notre propre sécurité».
Dans son discours sur le Zeitenwende (tournant d'une époque) au Bundestag, Olaf Scholz a martelé que «le 24 février 2022 marque un tournant dans l'histoire de notre continent». «Le monde d'après n'est pas le même que le monde d'avant», a-t-il lancé, et «l'ordre de la sécurité mondiale et de l'Europe existant depuis l'Acte final d'Helsinki est ébranlé». Ce Zeitenwende signifie pour l'Allemagne, d'obtenir comme objectif «une Bundeswehr efficace, très moderne et progressiste qui protège de manière fiable. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, Olaf Scholz avait dit: «Nous avons besoin d'avions qui volent, de navires qui prennent la mer et de soldats qui sont équipées de manière optimale pour les opérations». Olaf Scholz a, aussi, insisté pour dire que ce Zeitenwende n'affecte «pas seulement notre pays; il touche toute l'Europe». Pour Berlin, «le défi est de renforcer la souveraineté de l'Union européenne de manière durable et permanente».
Le chancelier allemand a déclaré que des décennies de dépendance croissante vis-à-vis de l'énergie russe prendraient fin et que l'Allemagne commencerait à chercher des sources alternatives. Et, après plusieurs semaines de refus d'envoyer des armes à l'Ukraine, il a déclaré que l'Allemagne enverrait désormais des armes antichars et des missiles Stinger à Kiev.
Depuis son discours, les Allemands se disputent sur ce que signifie vraiment aider l'Ukraine et quelles armes peuvent être envoyées et celles qui ne le peuvent pas être. Car, selon les armes envoyées cela pourrait provoquer une sorte de réaction extrême de la part de la Russie. Même si de plus en plus d'armes allemandes ont été envoyées vers l'Ukraine, l'argument à leur sujet reste beaucoup plus controversé en Allemagne que partout ailleurs.
Anne Applebaum, qui était présente selon ses dires à un talk-show allemand sur la question de l'envoi d'armes allemandes à l'Ukraine, a été surprise de voir un tel débat sur la question de savoir s’il faut ou pas expédier des chars allemands à Kiev. Anne Applebaum évoque la forte pression populaire qui a fait blocage à ces envois: «Anton Hofreiter, membre du Bundestag du Parti des Verts m'a dit que l'envoi d'armes lourdes à l'Ukraine n'a pas eu lieu à cause de la pression venant du peuple». La question d'envoi de chars en Ukraine pose un problème pour la population.
Anne Applebaum rappelle que l’Allemagne a des chars qu'elle pourrait offrir à l'Ukraine, mais ne le fait pas. Le gouvernement allemand a également interdit aux autres pays européens qui possèdent des chars de fabrication allemande d'envoyer ces chars en Ukraine. Cependant, l'Allemagne a envoyé de nombreuses autres armes lourdes, y compris celles qui ressemblent à des chars (le système antiaérien Gepard-Flugabwehrpanzer), des canons d'artillerie et des véhicules blindés avec des chenilles que la plupart des gens associent aux chars. Tout cela est déjà en Ukraine.
Grâce à ces expéditions, ainsi qu'à d'autres systèmes de défense aérienne (l'Iris-T SLM) qui ont abattu des missiles dans le ciel de Kiev cette semaine, l'Allemagne est devenue le troisième fournisseur d'armes de l'Ukraine après les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Pendant ce temps, des pays comme la Pologne ont remis à l'Ukraine des chars de l'époque soviétique qu'ils avaient dans leurs entrepôts (et l'Ukraine a pris beaucoup plus de chars laissés par l'armée russe). Les chars de combat principaux et modernes de l'Occident qui peuvent être utilisés pour attaquer les troupes russes pourraient donner un certain avantage à l'Ukraine. Mais, ils ne vont pas en Ukraine. «Beaucoup d'Allemands pensent que ce refus est une forme d'indécision ou de scrupule inutile, et quand ils en parlent, ils s'énervent assez vite», note Anne Applebaum.
Alors pourquoi les chars allemands ne sont-ils pas envoyés en Ukraine? L'Allemagne est inquiète de voir ses chars être vus sur le champ de bataille, et d'abord, il faut organiser leur approvisionnement et les réparations ce qui demandent du temps et une logistique. Le chef de la chancellerie allemande, Wolfgang Schmidt, -le très proche conseiller d'Olaf Scholz- a comparé les demandes au début d'octobre de chars allemands Leopard 2 avec les espoirs placés dans l'Allemagne nazie dans la fusée V2 qui a été décrite par la propagande comme «l'arme miracle». Pour Wolfgang Schmidt, ce Leopard 2 ne fera pas gagner le conflit en Ukraine. Wolfgang Schmidt a également averti que si un char de combat portant la croix de fer allemande était capturé, ce serait un «matériel de propagande parfait» pour la Russie pour dire qu'elle se trouve sous l'attaque de l'Otan.
La CDU en la personne de Roderich Kiesewetter a rétorqué que «tous les véhicules de combat et systèmes d'armes fournis ne portent pas l'insigne national des pays fournisseurs, mais plutôt l'insigne national de l'Ukraine», et que «la croix de fer est réservée aux véhicules de la Bundeswehr en mission mandatée et au niveau national». Berlin cherche des excuses pour ne pas livrer ses nouveaux chars à l'Ukraine. D'un côté nous avons la déclaration officielle du chancelier allemand qui annonce cet envoi et, en sous-main, on entend le chef du bureau d'Olaf Scholz affirmer l'inverse.
Anne Applebaum lève le lièvre. En vérité, dit-elle, c'est que personne d'autre ne fournit à l'Ukraine des chars modernes, ni les Français ni, surtout, les Américains». Aussi, Berlin attend que quelqu'un d'autre, principalement les Etats-Unis, livrent des chars modernes en premier. Berlin ne veut pas prendre le risque d'aller au front en premier et de subir les attaques directes de Moscou, du moins -dans une première salve- de manière verbale et diplomatique. Cela indique que l'Allemagne ne suit pas à l'aveugle la ligne directrice de l'Otan. D'ailleurs, les aveux de profonds désaccords entre Paris et Berlin, montrent une nouvelle direction politique allemande dans son rapport avec le conflit en Ukraine et envers la Russie, mais aussi dans ses liens réels avec l'Otan.
Olivier Renault
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