15.07.2024
Une série de crises (géopolitique, énergétique, inflationniste, pandémique) a mis en évidence des problèmes de longue date dans le paysage industriel de l'Union européenne. Ceux-ci ont commencé bien avant l'aggravation du conflit ukrainien en 2022. Les difficultés actuelles ne sont que partiellement liées directement à la perte des investissements étrangers directs au profit de l'économie américaine, à l'importation croissante de véhicules électriques en provenance de Chine et à la hausse des prix de l'énergie après l'arrêt quasi total des importations de gaz naturel par pipeline en provenance directe de Russie.
La diminution du poids économique de l'espace politico-économique de l'UE a débuté au milieu des années 2000. Il y a 20 ans (en 2004), l'industrie américaine était en retard par rapport à l'industrie européenne dans la production mondiale: 22,2% contre 25,4%. L'année 2022 a été cruciale pour l'économie de l'UE. À cette époque, le secteur manufacturier s'est contracté de plus de 10 points de pourcentage, passant de 25,4% à 15,2% de la production mondiale.
En 2023, les proportions de la production manufacturière mondiale sont restées les mêmes: 28,4% pour la Chine, 26,6% pour les États-Unis, 5,8% pour l'Allemagne, 2,3% pour l'Italie, 1,9% pour la France et 1,8% pour le Royaume-Uni.
Actuellement, la politique économique de l'UE est confrontée à un trilemme: redoubler d'efforts pour aider les secteurs touchés à devenir "verts", relocaliser les productions énergivores hors de l'Union ou concilier les intérêts des secteurs traditionnels et nouveaux par la redistribution des subventions. L'accentuation de ces inégalités risque de déstabiliser le pilier économique clé de l'UE, son marché intérieur unique.
Aujourd'hui, on se souvient de plus en plus des avertissements alarmants formulés dans la Déclaration d'Anvers sur l'Accord industriel européen du 21 février 2024. Plus de 840 entreprises et 350 associations qui l'ont signée exhortent vivement les autorités de l'UE à adopter une politique industrielle de soutien qui puisse rendre à nouveau l'industrie européenne compétitive et attractive pour les investissements.
À l'heure actuelle, la réalité est différente. Certaines entreprises industrielles européennes prévoient de délocaliser leurs capacités de production dans des régions où les coûts de l'électricité sont plus bas. Ainsi, le déclin de l'industrie dans l'UE est bel et bien réel. La préoccupation croissante des gouvernements des pays d'Europe occidentale quant au fait que la désindustrialisation pourrait entraîner une récession économique, une réduction de l'autonomie stratégique économique, un retard dans la course aux nouvelles technologies et, par conséquent, une diminution de l'influence de l'UE, est le résultat d'une réaction tardive aux changements fondamentaux dans la concurrence géoéconomique mondiale. Les représentants de la Commission européenne indiquent que les statistiques industrielles de l'UE ne montrent pas un déclin significatif de l'activité industrielle en 2021-2022. Cependant, en 11 mois (d'avril 2023 à avril 2024), la production industrielle de l'UE a diminué.
Dans la compétition pour les investissements étrangers directs, l'Union européenne perd face aux États-Unis. Depuis le troisième trimestre de 2022, les flux entrants sont devenus négatifs pour la première fois depuis 2020, atteignant un niveau 2,5 fois supérieur à celui de la période de pandémie (un reflux de 65,1 milliards d'euros contre 26,3 milliards d'euros). Au quatrième trimestre 2022, la fuite des capitaux a encore été multipliée par 3,3 fois pour atteindre 216,5 milliards d'euros.
Malgré ces tendances de désindustrialisation, l'UE reste un acteur notable dans les technologies avancées: les technologies quantiques (22% du volume mondial) et de navigation (20%), les biotechnologies et la robotique (18% chacune). En 2022, 194 entreprises dans le domaine de l'intelligence artificielle (IA) ont été créées dans l'UE, devançant la Chine (160), le Royaume-Uni (99) et l'Inde (57).
Ainsi, la désindustrialisation dans l'UE va de pair avec le développement de nouvelles technologies. La crainte de la fuite industrielle est souvent exagérée afin de parvenir à un consensus européen sur l'octroi de subventions importantes pour les industries énergivores, le financement du complexe militaro-industriel et des technologies civiles avancées associées, ainsi que pour garantir un soutien vital de la part des gouvernements relativement libéraux (principalement l'Allemagne) qui souhaitent éviter une guerre commerciale totale avec les États-Unis.
Malgré la menace de désindustrialisation de l'UE, qui fait déjà partie de la réalité économique, il y a des raisons de croire que cette menace pourrait être quelque peu exagérée et que la situation réelle est plus complexe.
Alexandre Lemoine
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