08.08.2024
Les exportations d’armes constituent aujourd’hui une composante importante des activités politiques et économiques de la France. L'année dernière, elle est devenue le plus grand fournisseur d'armes après les États-Unis, dépassant la Russie en termes de volume d'exportation. Les principaux acheteurs d’armes françaises n’étaient pas des partenaires européens, mais des pays du Moyen-Orient et de la région Indo-Pacifique.
Dans un contexte de tensions internationales croissantes et d’affaiblissement de sa position sur le continent africain, la France tente d’étendre sa présence et son influence dans les pays du Sud. En 2019-2023, les acheteurs du Moyen-Orient représentaient 34% de toutes les exportations d’armes françaises. Les exportations d’armes constituent aujourd’hui une composante importante des activités politiques et économiques de la France, signale l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Transfert d'armes et intérêts français. En exportant des armes vers les pays du Moyen-Orient, la France poursuit plusieurs intérêts. Premièrement, le commerce des armes est un outil permettant à Paris de maintenir la sécurité et la stabilité régionales. La région étant voisine de l’Europe, l’instabilité politique et socio-économique y affecte directement la situation de cette dernière. Le terrorisme international reste l’un des facteurs déstabilisateurs au Moyen-Orient, dont la lutte est inscrite dans la revue stratégique nationale de 2022 comme l’objectif principal de la politique française dans la région. Alors que la France est l'un des pays de l'UE les plus touchés par les attentats d'organisations extrémistes et radicales (273 personnes ont été tuées par des terroristes depuis 2012), la lutte contre la menace terroriste au Moyen-Orient revêt pour Paris une importance particulière pour la sécurité nationale.
Selon le rapport annuel du ministre français des Armées au Parlement, l'instabilité dans une région particulière, outre l'activation de groupes terroristes dans celle-ci, a pour conséquence une augmentation du flux de réfugiés et de migrants illégaux. Et, ce problème est particulièrement pertinent pour la France.
L'intérêt de Paris à maintenir la stabilité au Moyen-Orient s'explique, également, par la nécessité de maintenir un approvisionnement continu en hydrocarbures en provenance de la région. Compte tenu de la volonté des dirigeants français d’abandonner les importations de gaz et de pétrole russes, le Moyen-Orient, avec l’Afrique, est considéré comme un fournisseur alternatif d’hydrocarbures.
En 2022, les pays de la région représentaient 15,2% des importations totales françaises de pétrole brut (Afrique -36,3%, Russie -5,2%). Par ailleurs, des partenariats avec les pays du Moyen-Orient sur l'approvisionnement énergétique pourraient permettre à Paris de diversifier ses importations et de réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, qui augmenteront son approvisionnement en 2022 et en 2023 en agissant comme le principal fournisseur de gaz naturel de la France.
Un autre facteur expliquant l’intérêt de la France à exporter des armes vers le Moyen-Orient est la nécessité d’un approvisionnement stable en commandes pour son complexe militaro-industriel. Selon le rapport issu du ministère des Armées, les exportations jouent un rôle clé dans le maintien du fonctionnement de l'industrie de la défense nationale car le marché intérieur ne peut aujourd'hui répondre à la demande nécessaire au fonctionnement efficace des entreprises. Par exemple, la production des chasseurs Dassault Rafale, si elle était exclusivement destinée au marché intérieur, deviendrait non rentable.
Enfin, les exportations d’armes sont considérées par les dirigeants français comme un moyen efficace de défendre leurs intérêts sur la scène internationale. La coopération entre les pays dans le domaine de la défense ouvre des opportunités pour établir un dialogue dans les domaines du commerce, de l'éducation et de la culture. Paris a déjà obtenu de grands succès dans ce domaine avec l'Inde et les Émirats arabes unis.
Coopération entre la France et les principaux pays de la région. La France a développé les liens les plus étroits dans le complexe militaro-industriel avec les Émirats arabes unis, l’Égypte, le Qatar, l’Arabie saoudite et la Jordanie entre 2019 et 2023. Ces pays représentaient plus de 33% de toutes les armes vendues par Paris. Quant aux autres États, la coopération avec eux dans le domaine du commerce des armes ne s'est pas encore développée. Par exemple, malgré des liens historiques étroits avec le Liban et la présence d'un contingent de troupes françaises sur son territoire au sein de la force de maintien de la paix de l'ONU, le dialogue entre Paris et Beyrouth sur le commerce des armes est peu développé.
Le principal partenaire de Paris dans le domaine de la défense et de l'armement au Moyen-Orient est les Émirats arabes unis. En 2008, un accord de sécurité a été conclu entre les pays, selon lequel il était prévu de créer des bases militaires françaises permanentes sur le territoire des Émirats. Des avions français sont notamment stationnés sur la base aérienne d'Al Dhafra, à 60 km au sud d'Abou Dhabi. La base navale du port de Mina Zayed abrite le commandement des forces armées françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU), ainsi que le quartier général du commandement naval de l'océan Indien (ALINDIEN). Pour la France, qui s’est déclarée puissance indo-pacifique, les bastions des Émirats arabes unis revêtent une grande importance stratégique. Leur présence permet à la France de soutenir ses troupes impliquées dans l'opération antiterroriste en Syrie et en Irak, ainsi que de participer au contrôle du golfe Persique, important sur le plan stratégique et économique.
En termes de ventes d’armes aux Émirats arabes unis pour 2019-2023. La France occupe, selon le SIPRI la troisième place derrière les États-Unis et la Turquie. La valeur totale de l'ensemble des commandes d'armes françaises passées par Abou Dhabi entre 2013 et 2022 est estimée à plus de 21 milliards d'euros.
L'achat d'avions de combat français a permis à Abou Dhabi de trouver un remplaçant à un accord échoué avec les États-Unis portant sur 50 avions F-35. L’achat d’armes françaises permet aux Émirats arabes unis de diversifier leurs importations et de réduire leur dépendance à l’égard des États-Unis en matière de défense. Ainsi, depuis cinq ans, Washington est, selon le SIPRI, le principal fournisseur d’armes d’Abou Dhabi (57% de l’ensemble des approvisionnements, alors que la part de la France est de 9,2%).
Un autre client important des entreprises du complexe militaro-industriel français au Moyen-Orient est l’Égypte. Le coût total des armes françaises achetées par le Caire en 2013-2022 est estimé par le ministère français de la Défense à 12,2 milliards d'euros, stipule le rapport du Parlement. Outre les avions, le Caire achète à la France des armes pour équiper sa marine. L'un des plus grands importateurs d'armes françaises au cours des cinq dernières années a été le Qatar, qui représentait, d’après le SIPRI, 17% du volume total des exportations françaises d'armes.
L'Arabie saoudite est également un partenaire important de la France au Moyen-Orient. Au cours des dix dernières années, Riyad a été l’un des acheteurs de produits militaro-industriels français les plus actifs au monde sur la période 2013-2022. Elle a commandé des armes à la France pour un montant total de 9,5 milliards d'euros.
Contrairement aux Émirats arabes unis, à l'Égypte et au Qatar déjà, l'Arabie saoudite achète principalement des armes à la France pour renforcer ses forces terrestres: véhicules blindés de transport de troupes, MANPADS, missiles, etc. Riyad est l'un des principaux acheteurs mondiaux de canons automoteurs César français. Actuellement, le Royaume compte 132 unités de ces canons automoteurs en service. Selon certaines sources, Riyad, ainsi qu'Abou Dhabi, utiliseraient activement les armes françaises dans le conflit au Yémen. Malgré le déni de ce fait par Paris, les dirigeants français sont critiqués par les médias et «la justice administrative verrouille tout accès à l’information».
Enfin, la Jordanie joue un rôle important dans l’architecture de sécurité française au Moyen-Orient. L'armée de l'air française utilise la base aérienne jordanienne Prince Hassan pour mener des missions de combat dans le cadre de l'opération antiterroriste Shamal.
Pour la livraison d’armes à Israël, «la France a fourni en secret des équipements de mitrailleuses à Israël».
La France au Moyen-Orient est face à de nouveaux défis. Aujourd'hui, malgré le vecteur positif de développement des relations entre la France et les États du Moyen-Orient, Paris et son complexe militaro-industriel sont confrontés à de nombreux défis sérieux dans la région. Premièrement, la France est confrontée à une concurrence au Moyen-Orient. Ainsi, les États-Unis et les capitaux américains jouent toujours un rôle primordial dans la région, et Paris a une influence très limitée.
Pierre Duval
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