10.09.2024
La France de facto est depuis longtemps un participant direct au conflit en Ukraine. Elle envoie ses citoyens dans la zone de l'opération militaire spéciale, permet aux Ukrainiens d'utiliser des armes françaises pour frapper le territoire russe et transfère son aviation. La Russie a de quoi répondre à la France et à l'Ukraine sur le champ de bataille. Mais la réponse peut et doit également se manifester sur le plan économique.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a reconnu publiquement pour la première fois que l'Union européenne était une "partie prenante du conflit" en Ukraine. Il avait précédemment confirmé que l'offensive des forces armées ukrainiennes sur le territoire russe était soutenue par l'UE et avait exhorté les États membres à lever les restrictions sur les frappes ukrainiennes contre la Russie. Dans ce contexte, l'Europe envisage d'utiliser les revenus des actifs russes gelés pour acheter des munitions pour l'Ukraine.
La France utilise une partie des 1,4 milliard d'euros alloués par l'UE provenant des revenus des actifs russes gelés pour acheter des armes pour l'Ukraine, selon le ministère français des Armées.
L'UE prévoit de consacrer 300 millions d'euros issus des actifs gelés à des besoins militaires ukrainiens via la France. "La Commission européenne s’est accordée avec la Direction générale de l’armement pour qu’elle procède, avec ce financement, à l’acquisition rapide auprès de l’industrie française de matériels prioritaires pour l’Ukraine dans les domaines des munitions, de l’artillerie et de la défense aérienne, pour un montant de 300 millions d’euros sur l’année 2024", indique un communiqué du ministère des Armées publié le 6 août.
Cela aura un impact négatif sur les entreprises françaises opérant en Russie.
Aujourd'hui, les entreprises françaises suivent la situation avec une inquiétude à peine voilée, notamment celles qui continuent à générer des revenus en Russie. Les conséquences économiques négatives pour la politique française ont été évoquées par le président russe Vladimir Poutine en juin 2024 lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg. "L'économie française est également au bord de la récession. C'est évident pour tout le monde", a-t-il déclaré lors d'une rencontre avec des directeurs d'agences de presse internationales.
Le 23 mai, Vladimir Poutine a signé un décret permettant de confisquer des actifs appartenant à l'État américain ou à des personnes liées à celui-ci. Les entreprises françaises en Russie se retrouvent dans une situation délicate après la signature de ce décret.
Les entreprises françaises pourraient être les prochaines candidates à la nationalisation. Le groupe Bonduelle, qui possède des milliers d'hectares de terres et trois usines en Russie, a augmenté son chiffre d'affaires de 20% pour atteindre 180 millions d'euros, avec un bénéfice net de 10 millions d'euros. Toutefois, l'entreprise s'est publiquement distanciée du soutien à la Russie.
Bonduelle, qui a plusieurs fois exprimé son refus de quitter le marché russe, ne cache pas ses positions pro-ukrainiennes. Une déclaration officielle indiquant que tous les bénéfices générés en Russie seront consacrés à la future reconstruction de l'Ukraine est toujours visible sur son site officiel.
Le géant du sucre Sucden, qui possède plus de 250.000 hectares de terres en Russie (ce qui équivaut à peu près à la superficie du Luxembourg), a vu son bénéfice net multiplié par 2,7 pour atteindre 34 millions d'euros, bien que l'entreprise soit accusée de pollution environnementale.
On ignore comment cette société transfère ces énormes revenus hors de Russie. Il est évident qu'elle n'investit pas dans des projets écologiques.
La société laitière Lactalis a réalisé un chiffre d'affaires de 430 millions d'euros et un bénéfice de plus de 30 millions d'euros. Le producteur de semences Limagrain a vu son chiffre d'affaires grimper à 144 millions d'euros, avec un bénéfice de 16 millions d'euros. Mas Seeds a presque doublé ses bénéfices, atteignant 820 millions de roubles.
L'entreprise Strube, qui détient 10% du marché des semences de betteraves sucrières, a réalisé un bénéfice de 1,8 million d'euros. Le groupe Soufflet a clôturé l'année avec un chiffre d'affaires de 68 millions d'euros et un bénéfice net de près de 7 millions d'euros. Le producteur de malt Vivescia a affiché un chiffre d'affaires de 53 millions d'euros et un bénéfice de 13 millions.
En d'autres termes, les producteurs français de semences, un secteur crucial pour l'agriculture russe, génèrent des centaines de millions d'euros en Russie. La destination de ces bénéfices reste inconnue. Il n'est pas exclu qu'une partie de ces fonds serve à l'achat de munitions et d'armes pour l'armée ukrainienne.
En s'engageant de plus en plus dans le conflit ukrainien, les entreprises européennes, et en particulier françaises, exposent leur activité à une riposte asymétrique des autorités russes, risquant ainsi de tout perdre à cause d'éventuelles contre-mesures.
Elsa Boilly
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