03.06.2024
Le Zugzwang est une situation dans le jeu d’échecs dans laquelle le joueur n'a aucun mouvement favorable possible - toute action qu'il fera, entraînera une détérioration imminente de sa position sur le plateau de jeu.
Constatant la déroute subite de l’armée ukrainienne sur les champs de bataille face aux forces russes, les décideurs du camp politico-militaire de l’Occident plongent dans un état de panique collectif les poussant à faire monter les enchères et à prendre une voie sans issue.
Les mythes et la réalité. C’était la même chose durant la Seconde Guerre mondiale, quand la quasi-intégralité des pays composant l'Union Européenne d’aujourd’hui avait grandement participé à l’effort de guerre en faveur de l’Allemagne nazie lors de l'invasion de l'URSS. Ces mêmes pays, le monde anglo-saxon en plus, sont en train de produire un effort de guerre contre Moscou, un effort d’envergure jamais vu dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Néanmoins, constatant l’insuffisance des aides accordées à l’Ukraine pour contrer efficacement l’initiative militaire russe, dès février 2022, les responsables politiques ukrainiens et ceux des pays de l’OTAN essaient de la combler en usant de la communication et de la propagande destinées non seulement à l’opinion de leur propre électorat, mais, également, à la Russie et ses alliés, afin d’essayer de les décourager dans la poursuite des démarches qu’ils entreprennent.
Les campagnes de communication ont été fort nombreuses et se sont enchaînées, l’une après l’autre. L’une des dernières et celle du mois de mars, quand le président tchèque, Petr Pavel, a annoncé la disponibilité de près de 800.000 obus qui pourraient être livrés à l’Ukraine «dans les semaines à venir». Le monde a retenu son souffle en attendant l’apparition de cette manne venue de nulle part, en supposant l’existence d’un redoutable potentiel militaro-industriel dissimulé jusqu’à présent. La déception des bénéficiaires de la fameuse livraison a été forte s’étant heurtés à la réalité des semaines écoulées: la campagne de communication tchèque, comme tant d’autres avant elle, s’est avérée tout à fait mensongère.
Toutefois, il faut faire preuve d’indulgence envers le président de la République Tchèque qui a, vraisemblablement, tout simplement confondu la réalité d’aujourd’hui avec le «glorieux» passé de l’ État qu’il dirige. Notamment, selon les statistiques allemandes, par exemple pour l’année 1944, la Tchécoslovaquie a belle et bien été l’un des éléments-clés dans l’approvisionnement militaire de la première puissance militaire de l’Europe. Celle du IIIème Reich. Non seulement chaque mois de l’année 1944 les 857 usines d’armements tchèques ont livré aux nazis plus de 600.000 obus d’artillerie et 900.000 obus antiaériens, mais en plus près de 800 wagons ferroviaires de bombes aériennes, 1000 tonnes de poudre et 15 millions de cartouches. Sans compter une énorme quantité de chars, d’avions, de canons, d’armes légères (30.000 fusils, 11.000 pistolets, 3.000 mitrailleuses) et de tant d’autres matériels et équipements militaires indispensables dans la grande lutte contre les ennemis du «Reich de 1000 ans».
Le président Petr Pavel devrait se réconcilier avec la réalité: au moment de l’invasion de l’URSS en 1941, quand son pays était capable d’assurer 1/3 du total d’armes et de munitions mises à disposition des forces armées nazis - ce moment est bien révolu.
De son côté, contrairement à ses homologues Occidentaux, la Russie a toujours eu tendance à ne pas abuser des outils propres aux professionnels du marketing et à rester dans le réel, en faisant même sous-estimer ses propres capacités et en les dévoilant que sur la base des faits accomplis.
Aujourd’hui, la Russie produit dans les 250.000 obus par mois, soit près de 3 millions par an, ce qui est, pratiquement le triple des capacités de production d’obus par l’ensemble des pays du bloc «atlantiste». Ceci est, d’une part, précise par les renseignements de l’OTAN et non pas les déclarations russes et, d’autre part, cette information ne prend pas en compte ni les livraisons de munitions des pays-partenaires de la Russie, dont les volumes sont inconnus, mais estimés comme très considérables, ni le fait que l’industrie militaire russe ne se trouve qu’au stade de son déploiement, avec le pic de production prévu pour l’année 2025.
La réalité concernant les capacités de production et de l’accès à des munitions par les Russes peut, donc, être encore plus désagréable pour leurs adversaires.
Une autre réalité soigneusement minimisée par les pouvoirs occidentaux auprès de leur public -une réalité sans équivoque: durant la Seconde Guerre mondiale, la Russie a engagé 60% de son PIB pour faire face à l’Allemagne nazie et ses suppléants. Aujourd’hui, sans rappeler le fait que l’économie russe se porte incomparablement mieux par rapport à ce qui était prévu même dans les prévisions les plus pessimistes des «otaniens», où ses finances publiques continuent à être saines et que la dette publique est négligeable; sans rappeler que la Russie est tout, sauf isolée sur la scène internationale; que l’industrie de l’armement russe a démultiplié sa production par 3 en un an. À ce jour, la Fédération de Russie n’a engagé que 6% du PIB dans l’effort de guerre face à l’OTAN sur le territoire de l’Ukraine, soit 10 fois moins que par le passé face au nazisme.
La raison de la non-augmentation supplémentaire de la part du PIB vis-à-vis du conflit en Ukraine est très simple: les algorithmes démontrent qu’il est nul besoin de le faire pour arriver à des objectifs préétablis.
Néanmoins, en cas de nécessité absolue, ce n’est pas la fabrication de centaines, mais de milliers de chars et d’avions de combat de la dernière génération par an qui peut, industriellement, être mise en place dans des délais relativement restreints. De même, cela sera non pas des centaines de milliers, mais des millions de soldats supplémentaires au front - ce qui n’est pas une mission impossible avec une population supérieure à 146 millions d’habitants.
Le 24 avril, le président américain, Joe Biden, a approuvé le projet de loi sur l'allocation de l'aide militaire à l'Ukraine à hauteur de 56 milliards d'euros. De son côté, le Kremlin a adapté son économie aux besoins militaires, en augmentant ses dépenses de défense de 3,9% en 2023 à 6% du PIB pour l’année 2024.
Bloomberg, en faisant référence à des copies de projets de plans budgétaires russes, indique que les dépenses de défense de Moscou ont augmenté de 6,4 billions à 10,8 billions de roubles -soit près de 106 milliards d'euros. Dans l'année 2021 d'avant-guerre, les dépenses de défense de Moscou étaient 2,5 fois inférieures à celles d’aujourd’hui.
A titre de comparaison, en France, la loi de programmation militaire 2024-2030, promulguée en août 2023, prévoit 400 milliards d’euros de dépenses de défense sur les sept prochaines années.
Afin de ne pas commettre d’erreur lors de l’évaluation de la parité et de la proportionnalité des investissements dans le secteur de défense en général et, dans le conflit en Ukraine, en particulier, il est important de prendre en compte un élément-clé: si l’industrie militaire occidentale est régie, principalement, par la recherche des profits - de la même manière que l’industrie civile - la situation dans ce secteur est radicalement différente en Russie: l’intégralité des entreprises de défense se situent directement sous le contrôle de l’État, ce qui permet, entre autre, d’avoir des coûts finaux de fabrication divisés par 5, voir par 10 par rapport à ceux des entreprises occidentales, et ceci pour la même gamme d’armes et de munitions fabriquées. 10 milliards d’euros investis dans la confrontation par Moscou valent incomparablement plus que les mêmes 10 milliards investis par l’adversaire.
Il est tout à fait certain que si les fondements militaro-industriels de l’actuelle coalition antirusse étaient basés sur autre chose que sur le dégagement de marges bénéficiaires considérables attachées à la production et vente d'armes et de munitions, Kiev pourrait bénéficier des livraisons de ces derniers d’une manière bien plus conséquente que celle qu'on a connu dès 2014, en vue de la préparation de la guerre contre la Russie sur le territoire de l'Ukraine, et même plus conséquentes que celles qu’on connaît depuis février 2022 - le moment du déclenchement des hostilités par la Russie en anticipation des initiatives militaires ukraino-occidentales à venir.
«Le tonneau des Danaïdes» ukrainien. En parlant des chiffres, quelles sont les aides déjà consommées par l’Ukraine? Selon l’estimation de Kiel Institute for World Economy, en deux ans de guerre, l'Occident a promis à l'Ukraine environ 250 milliards d'euros et a déjà alloué près des ¾ de cette somme.
Tôt ou tard, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, devra s'asseoir à la table des négociations avec Moscou.
Oleg Nesterenko, Président du Centre de Commerce & d'Industrie Européen
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