« Il faut que tout change pour que rien ne change. » C’est ainsi que le duc de Palma, Guiseppe Tomasi di Lampedusa, dépeint, dans son roman « Le Guépard », la fin de règne de l’aristocratie italienne, la classe sociale dont il était issu, et la passation du flambeau à la bourgeoisie montante, la perpétuation du féodalisme sous sa forme moderne, la démocratie parlementaire.
Le mot « démocratie », cette forme d’organisation de la société, qui n’est pourtant pas mentionnée une seule fois, ni dans la déclaration d’indépendance de 1776, ni dans la constitution de 1787 de la référence en la matière, les Etats-Unis d’Amérique. Sur les 3 millions d’habitants de l’époque, seuls 750'000 avaient le droit de s’exprimer aux urnes, l’objectif des deux documents ayant été la proclamation de l’indépendance de la Grande-Bretagne d’une part, mais également le maintien du statu quo, la protection de la propriété des nouveaux maîtres. (Gore Vidal)
Ainsi, au niveau européen, l’exercice démocratique veut que, tous les cinq ans, un des trois gardiens du temple de l’Union, sa branche législative, le « Parlement européen », appelle les 380 millions d’électeurs des pays membres aux urnes pour renouveler les mandats de ses 751 députés, les seules à être élus au suffrage universel, les deux autres piliers étant la toute puissante « Commission Européenne » d’un côté, et le » Conseil de l’Union européenne », aussi appelé « Conseil des ministres des états membres » de l’autre. Celle-ci a en outre le privilège de réunir les pouvoirs législatifs et exécutifs, tout-en-un.
Pour la petite histoire, en tant que citoyen suisse on constate avec étonnement que, dans certains pays, le droit de vote est sujet à une inscription au préalable, parfois jusqu’à près de deux mois avant le scrutin, sur une liste électorale, comme si le simple fait d’être un citoyen majeur ne suffisait pas.
Ce « garde-fou électoral », un parmi de nombreux autres, n’est pas sans rappeler le système électoral des Etats-Unis qui, outre l’inscription obligatoire dans un parti politique, dont il y en a deux à choix, refuse le droit de vote aux citoyens avec un casier judiciaire, dans un pays où le taux d’incarcération est le plus élevé au monde, devant la Chine.
Dans cette même logique, les compétences du « Parlement européen » se limitent à l’acceptation ou le refus de projets de lois, issus de la Commission. Sont exclus du processus législatif notamment les décisions en matière de sécurité commune et les questions de politique étrangère. L’assemblée approuve, ou désapprouve le budget, sans pour autant avoir son mot à dire sur les recettes de l’Union, les impôts, compétences en mains, fermes, du Conseil et de la Commission. Le parlement élit le président de la Commission, dont le candidat est proposé par le Conseil. Celui-ci choisit les 28 commissaires des pays membres « en fonction de leurs compétences » et non en fonction des rapports de forces au parlement.
Ces rapports de forces ne laissent par ailleurs que peu de doutes sur l’issue du scrutin, le statu quo. A droite du spectre un trouve les diverses formations nationalistes et identitaires, suivis du bloc de la droite néolibérale classique, le « Parti populaire européen » PPE, avec 218 sièges, suivi des Libéraux, des Socialistes et des Verts, tous engagés en faveur de la poursuite de la politique de l’ordo-libéralisme de l’offre. La seule formation qui préconise un changement de paradigme, la « Gauche unitaire européenne » détient de misérables 52 sièges. Vu l’urgence climatique, c’est peu.
On pourrait s’offusquer du déficit démocratique des institutions européennes, l’abandon des électeurs par les partis politiques pendant les 20 dernières années est tout autant un facteur de l’abstentionnisme ambiant. La Social-démocratie européenne continue à soutenir le démantèlement de l’état social, les Verts européens continuent à adhérer au modèle économique néolibéral prépondérant du productivisme et à soutenir des interventions militaires, les partis qui affichent fièrement le « C » pour « chrétien » dans leurs appellations taillant allègrement dans les budgets de l’aide sociale. On comprend donc aisément que les électeurs ne votent plus. Par conséquent, ce seront, à terme, les mouvements populaires naissants, d’obédiences diverses, qui remplaceront les partis politiques. En attendant que celles-ci s’institutionnalisent, le paysage politique s’annonce tempétueux.
Parallèlement, aux Etats-Unis, se préparent les élections présidentielles de 2020 et on comprend rapidement, en suivant les débats des primaires du Parti démocrate, qu’une éventuelle élection d’un candidat démocrate marquera un changement sensible au niveau de la forme et assurément la continuité au niveau du fond.
L’ennemi du système, le candidat dissident du Parti démocrate, le sénateur Bernie Sanders, le résume bien lors d’un discours au Texas le 25 avril dernier en déclarant que, je cite « Je suis confiant qu’à la fin des élections primaires du Parti démocrate, peu importe que ce soit moi le gagnant ou mon adversaire, Joe Biden, ou n’importe lequel des autres candidats, nous verrons tous les démocrates se réunir pour vaincre le président le plus dangereux dans l’histoire de ce pays. » Avoir prononcé cette phrase à plus d’une année des « Conventions nationales démocrates » en dit long sur les chances de l’outsider, qui avait manqué une occasion de fonder son propre parti lors de l’annonce de sa candidature en juin 2015 à l’âge de 74 ans.
Il ne l’avait pas fait à l’époque et encore moins aujourd’hui à l’âge de 78 ans, malgré s’être fait voler la victoire pas son adversaire Hillary Clinton, parce qu’il continue à craindre de subir le même sort que l’écologiste et avocat des consommateurs Ralph Nader, candidat à quatre reprises sous les couleurs du parti des verts, une dernière fois en 2000 contre Al Gore et George Bush. On pourrait objecter qu’à son âge cela vaudrait le coup d’essayer, quitte à courir le risque de terminer une carrière politique qui risque de prendre fin de toutes manières, une fin peut-être moins glorieuse.
Il n’est pas inutile de rappeler que le candidat Joe Biden, ancien Vice-président et favori des médias, est entré en politique en 1973 en tant que sénateur de l’état de Delaware, siège de 950'000 entreprises internationales et de deux tiers des 500 entreprises américaines les plus importantes, pour une population d’à peine 1 million d’habitants.
Favorable à toutes les interventions militaires américaines dans le monde depuis son entrée en politique, Joe Biden, est surtout connu pour avoir élaboré en tant que président du « Comité judiciaire et criminel du Sénat » le « Violent crime Act » un durcissement significatif du droit pénal, signé par le président Clinton en 1994, qui avait fait exploser le nombre de nouvelles constructions de prisons de 43% entre 1990 et 2005, faisant le bonheur de l’industrie pénitentiaire et faisant des Etats-Unis le pays avec le taux d’incarcération le plus élevé au monde.
Aux Etats-Unis comme en Europe les dés sont pipés comme jamais et pour les progressistes le dicton « cause toujours tu m’intéresse » prévaut. En attentant, glisser un bulletin dans l’urne ne coûte rien.
Source: https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-attendant-la-revolution-215246