Comment les USA tirent profit du «problème iranien»: un politologue iranien interviewé sur la situation dans la région
La situation s'est sérieusement aggravée dans le golfe Persique ces dernières semaines. Les Etats-Unis ont décrété contre l'Iran de nouvelles sanctions qui compliqueront significativement la vente de pétrole iranien: à présent, ceux qui en achèteront risquent de faire l'objet de sanctions également. Téhéran a réagi par la suspension de plusieurs points de l'accord sur la garantie du caractère pacifique de son programme nucléaire signé en 2015. En même temps, Washington a envoyé dans la région un groupe de navires de guerre et compte également y déployer 1.500 soldats supplémentaires. L'Observateur Continental a évoqué cette situation avec le politologue iranien Amir Moussavi, directeur du Centre d'études stratégiques de Téhéran.
D'après vous, quelle est la probabilité d'une guerre entre l'Iran et les Etats-Unis? Quelles seraient ses conséquences?
- Pour l'instant, il n'y a pas de signes de début imminent d'un conflit armé. Les navires iraniens franchissent librement le détroit d'Ormuz, les sites iraniens ne font pas l'objet de provocations américaines. Autrement dit, il n'y a pas de guerre et elle n'est pas à prévoir. Du moins, les sanctions ne sont pas ses précurseurs formels. D'autant que l'Iran vit sous les sanctions depuis 40 ans, et durant cette période la situation n'a pas dégénéré en conflit armé avec Washington. Par ailleurs, le jeu de muscles dans la région faiblit progressivement: le porte-avions américain se tient à distance. Ce qui donne l'impression qu'en l'occurrence l'objectif des USA consiste à soutirer un maximum d'argent à certains Etats du Golfe. Nous constatons une atténuation de la rhétorique des autorités américaines, ce qui donne l'espoir de trouver une issue diplomatique de la situation actuelle. Et l'Iran a tout fait pour montrer qu'il pourrait faire face à toute agression.
En effet, Washington a déclaré vendre à l'Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et à la Jordanie des armes pour 8,1 milliards de dollars «pour lutter contre la menace iranienne». Est-ce le véritable objectif de l'escalade américaine dans le Golfe?
- L'annonce en soi concernant la vente d'armes faisait partie de la campagne anti-iranienne actuelle. Son but consiste à exercer une pression supplémentaire sur Téhéran. Les Américains eux-mêmes ont fait du bruit, ce même (conseiller de Donald Trump à la sécurité nationale John) Bolton prédisait une guerre pour la région. Les USA ont effrayé plusieurs de leurs alliés les forçant à conclure des contrats de ce genre. Mais ce n'est qu'une première étape. Ce contrat sera suivi par d'autres. Car 8 milliards de dollars, ce n'est rien pour Donald Trump. Le président américain veut que les pays du Golfe paient des centaines de fois cette somme. Ce n'est donc que le début.
Les USA ont décrété des sanctions assez dures contre l'Iran. En particulier, à cause d'elles les pays comme la Chine, l'Inde, la Turquie et bien d'autres ont cessé d'acheter du pétrole iranien. Est-ce que Téhéran parviendra à faire face à ces défis? Et comment l'Iran compte-t-il surmonter ces difficultés?
- L'Iran fait face à ces sanctions. Comme je l'ai mentionné plus tôt, le pays y est habitué. Auparavant il s'agissait de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, de l'UE et des USA. Aujourd'hui – seulement américaines. Ainsi, l'Inde a annoncé qu'elle relancerait les achats de pétrole iranien. La même chose pour la Chine. La réalité est telle que, malgré les sanctions, les cargos iraniens transportent via le détroit d'Ormuz près de 900.000 barils par jour. Je pense que l'Iran possède plusieurs autres acheteurs potentiels, aussi bien parmi les voisins qu'en dehors la région. L'impact des sanctions est très limité. Le marché boursier iranien est stable, dans l'ensemble le pays se fournit en nourriture, en médicaments et en carburant, la situation reste stable.
L'Iran a suspendu certains points de l'accord nucléaire et a donné à la Russie, à la Chine et à l'Europe 60 jours pour qu'elles compensent les pertes des sanctions américaines. Est-ce que Téhéran a l'intention de se retirer de cet accord passé ce délai?
- L'Iran ne se retirera pas entièrement de l'accord nucléaire. Mais l'accomplissement de certains de ses points sera suspendu, comme l'ont annoncé l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France. On peut s'attendre à ce que dans 60 jours nous assistions à une autre escalade si ces pays ne remplissaient pas les exigences de l'Iran. Quoi qu'il en soit, il est prématuré de parler de ce qui arrivera après ce délai. La base de la signature de l'accord nucléaire est le profit pour tous ses participants. C'est pourquoi la situation où tous les autres se retrouvent gagnants et seulement l'Iran perd son profit est inadmissible. Soit tout le monde gagne, soit tout le monde perd. Il n'y a pas d'autre solution possible.