Alors que les pays-membres influents de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) commencent à tirer la sonnette d’alarme quant à l’avenir de cette organisation, portant à ce jour l’héritage de la Guerre froide, les dissensions entre la Turquie et les autres membres de cette structure ne font que s’accentuer, notamment avec les USA.
Au cours des dernières années, les points de discorde entre le leadership turc et les représentants des autres pays-membres de l’Otan ont monté en flèche. Quoiqu’en puissent dire les divers experts traitant de cette question sur les raisons de cette discorde: politique «autoritaire» du président Erdogan, «violations» prétendues des droits de l’homme, coopération militaire avec la Russie – inimaginable pour un membre de l’Otan selon les responsables de Washington et Bruxelles -, et la liste n’est pas exhaustive, le fait est que les attaques à l’intérieur de la famille otanesque à l’encontre de la Turquie ne sont dues qu’au simple fait qu’Ankara assume pleinement sa politique indépendante et souveraine, conformément à ses intérêts nationaux.
Lors du récent Sommet de l’Otan à Londres, et malgré l’air «d’unité» affichée, les échanges houleux n’ont pas manqué. Cela fut évident lorsque le président français Macron demandera au chef d’Etat de la Turquie d’expliquer comment un pays-membre de l’Otan puisse se «permettre» d’acheter un système russe, comme les S-400. La réponse du président turc ne s’est pas fait attendre: «C’est à toi que je dois demander quoi acheter et à qui?»…
Le fait est que justement sur le fameux sujet de l’acquisition des S-400 russes par la Turquie, le leadership turc n’a pas failli à ses responsabilités engagées dans le cadre contractuel, et ce malgré l’énorme pression auquel il a dû faire face. Une chose est également certaine: bien que la Turquie et la Russie partagent parfois des approches plus ou moins différentes sur un certain nombre de dossiers internationaux, notamment en Syrie et plus récemment en Libye, néanmoins Ankara assume et tient à son partenariat stratégique avec Moscou. Et ce aussi bien sur le plan économique, politique, énergétique et désormais même sécuritaire.
Evidemment les élites étasuniennes, surtout la frange la plus radicale de l’establishment US, ne peut tolérer une telle «indépendance» d’un membre d’une organisation où tous sont censés appliquer à la lettre les prérogatives washingtoniennes. Le spectre donc des sanctions étasuniennes à l’encontre de la Turquie est aujourd’hui d’actualité plus que jamais. Mais le leadership turc a d’ores et déjà confirmé que la puissance eurasienne ne restera pas observatrice et adoptera si nécessaire des mesures de rétorsion. Et ces mesures éventuelles de rétorsion sont tout à fait sérieuses: Ankara ayant brandi la possibilité de fermer les bases militaires d’Incirlik et de Kurecik, se trouvant sur le territoire turc et utilisées par les USA.
Il serait bon de rappeler aussi que la Turquie n’est pas un simple figurant parmi les membres de l’Otan. Il s’agit tout simplement de la deuxième armée de l’Otan en termes d’effectifs, et qui représente historiquement le partenaire essentiel du flanc sud de l’organisation otanesque. Et il n’est nullement dans l’intérêt des élites atlantistes de perdre un tel membre. Le leadership turc le comprend parfaitement et fait en sorte d’agrandir encore plus son indépendance, notamment dans le cadre de ses relations avec la Russie ou encore l’Iran, et plus généralement l’espace eurasiatique auquel appartient le pays, dans le cadre de ses intérêts géoéconomiques comme géopolitiques, confortant ainsi la thèse d’être une importante puissance régionale souveraine. Le tout en ne fermant pas la porte au dialogue ni avec les Etats-Unis, ni avec les autres membres de l’Otan.
Néanmoins la question qui prévaut est la suivante: est-ce que les éléments radicaux de l’élite politique et militaire étasunienne soient capables de reconnaitre cette réalité d’indépendance de la part des pays revendiquant leur souveraineté, d’autant plus lorsque ceux-là font partie d’une structure où Washington se positionne en maître absolu? Bien peu probable.
Les déclarations émanant de la Turquie quant aux représailles éventuelles dans le cas des sanctions à son encontre ont un peu calmé les ardeurs étasuniennes: le Pentagone ayant déclaré faire des «efforts» afin de maintenir ses relations avec la Turquie et promouvoir un dialogue pour régler les différends. Confirmant ainsi la crainte américaine de devoir perdre la Turquie au sein de l’Otan. Un scénario tout de même et pour le moment peu imaginable – le coup serait trop dur pour la structure nord-atlantique. Ainsi, la Turquie y restera probablement encore membre un certain temps. Tout en poursuivant vraisemblablement sa politique actuelle d’indépendance, conformément à ses propres intérêts.
Plus que cela, l’exemple turc pourrait à terme devenir viral pour d’autres pays, notamment d’Europe occidentale – dont les élites au cours des dernières années ont parfois pris l’habitude de se fouetter soi-même, ou plutôt de frapper les intérêts de leurs propres pays et peuples. Surtout dans les cas où les prérogatives de Washington données à ses «alliés» européens représentaient tout simplement des pertes économiques de grande envergure, sans aucune compensation. La Turquie, à travers une approche bien différente, a montré la voie. Les leaders européens sauront-ils être à la hauteur des attentes de leurs populations, la question reste en suspens. Quant à l’Otan, il continuera d’exister encore un certain temps, mais de plus en plus sous perfusion artificielle – étant un organe qui devait tout simplement disparaitre au même moment que le Pacte de Varsovie.
Mikhail Gamandiy-Egorov