L'assassinat du général Qassem Soleimani et la riposte de l'Iran contre les bases américaines en Irak ont rendu la situation dans la région si tendue que le président américain a d'abord appelé l'Otan à participer plus activement aux affaires moyen-orientales, puis a proposé de faire adhérer à l'Alliance des pays du Moyen-Orient, sans préciser pour autant qui sont les candidats à ses yeux.
"Je pense qu'il faut élargir l'Otan, et nous devons y inclure le Moyen-Orient", a déclaré le président aux journalistes. Selon Donald Trump, l'Alliance doit remplacer les Etats-Unis dans cette région pour combattre les terroristes, car le terrorisme est un problème international.
Le locataire de la Maison blanche a même proposé une nouvelle appellation NATO-ME, pour Middle East (Moyen-Orient).
Tout cela sur fond d'aggravation des relations avec l'Irak, qui "s'est permis" de s'insurger contre le bombardement de l'aéroport de sa capitale. Toutefois, cela fait longtemps que les Etats-Unis ne considèrent plus l'Irak comme une entité autonome – depuis qu'ils ont renversé le régime de Saddam Hussein tout en détruisant l'équilibre fragile des forces dans la région, transformant ainsi l'Iran en superpuissance régionale. Alors que depuis tout ce temps l'Irak cherche désespérément à préserver son intégrité territoriale. Et on ignore s'il y parviendra en fin de compte.
Ainsi, l'attaque d'un drone américain contre l'aéroport de Bagdad et la frappe iranienne contre le territoire irakien ont été suivies par l'exigence du parlement de l'Irak de retirer toutes les forces étrangères du territoire du pays. Donald Trump l'a considéré comme un "irrespect" envers les Etats-Unis (alors que le bombardement d'un aéroport étranger dans son système de valeurs est un signe de respect). Et puisque son pays n'est pas "respecté" il est prêt à décréter contre Bagdad les sanctions les plus sévères. De plus, au vu d'une habitude viscérale de tout mesurer en argent, le président Trump a ajouté que les militaires américains ne quitteraient pas le pays tant qu'ils ne seraient pas payés pour la base aérienne construite par les Etats-Unis.
Revenons à l'idée de Donald Trump et rappelons que quelque chose de similaire s'était déjà produite. En 2018 on parlait activement de la création d'une nouvelle alliance avec la participation de huit pays de la région: l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, Oman, Bahreïn, l'Egypte et la Jordanie (Middle East Strategic Alliance, MESA, officieusement "Otan arabe"). Sous l'égide des Etats-Unis, bien évidemment. Selon l'idée de Washington, cette alliance était censée unir les efforts de ces pays dans la lutte contre le terrorisme. D'après Washington, l'Iran est le principal sponsor du terrorisme. Cette idée n'avait rien donné à l'époque: le Qatar entretient des relations d'affaires, voire d'alliés avec l'Iran; Oman coopère activement avec l'Iran; le Koweït s'est rappelé qu'à une époque les pays du Golfe ne l'avaient pas du tout aidé contre l'agression irakienne et a préféré garder ses distances. Après réflexion, l'Egypte a également refusé de participer à ce projet.
Et peu de choses ont changé dans la position de ces pays aujourd'hui. De plus, l'Otan elle-même traverse une période difficile: certains membres continuent de participer à l'accord nucléaire avec l'Iran; en Syrie les Américains, les Britanniques, les Français et d'autres alliés agissent dans le cadre d'une coalition sans aucune corrélation avec l'Alliance; Emmanuel Macron parle d'une "mort cérébrale de l'Otan"; sans parler de la Turquie. Et dans l'ensemble, l'UE ne s'intéresse pas vraiment aux affaires de l'Alliance.
Bien que, selon Donald Trump, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg se soit "réjoui" de la perspective d'expansion au Moyen-Orient, les principaux membres européens de l'Otan ne brûlent certainement pas d'envie de s'immiscer dans cette région. Premièrement, il sera difficile d'en sortir et, deuxièmement, la plupart des Européens souhaitent maintenir les relations d'affaires avec l'Iran. Seulement les pays d'Europe de l'Est pourraient répondre à l'appel des Américains pour afficher une nouvelle fois leur allégeance à Washington.
La réunion du Conseil de l'Otan du 6 janvier a été révélatrice en ce sens: ses participants ont appelé l'Iran et les Etats-Unis "à la retenue" et à réduire la tension dans les relations bilatérales. Nul n'a besoin d'un nouveau conflit, estime Jens Stoltenberg, parce qu'il sait: il ne faut pas s'attendre à une aide militaire efficace des pays arabes. En 1984, dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe où les Saoudiens jouent le rôle principal a été créée l'alliance militaire "Bouclier de la péninsule" qui ne pouvait rien faire contre l'invasion irakienne au Koweït en 1990. Au Yémen la coalition sunnite ne parvient pas à maîtriser les rebelles chiites. Les résultats des guerres israélo-arabes parlent également d'eux-mêmes. Du coup, ce serait aux Européens de combattre si c'était nécessaire. En revanche, les cheikhs arabes ont de l'argent.
Ainsi, l'idée de Donald Trump se résume à l'utilisation au Moyen-Orient de soldats européens avec un financement arabe (le président américain se plaint constamment que les alliés de l'Otan n'apportent pas une contribution suffisante au financement de l'Alliance et ne compte manifestement pas qu'ils le feront): "Et nous pourrons rentrer à la maison ou principalement rentrer à la maison et utiliser l'Otan… actuellement tout le fardeau repose sur nous, et c'est injuste."
C'est précisément ce que veut entendre un américain "moyen" qui votera cet automne pour le prochain président des Etats-Unis.