La guerre est inévitable, elle ne peut qu'être retardée – au profit de votre ennemi. Malheureusement, cette thèse du penseur italien Nicolas Machiavel est applicable aux réalités actuelles autour du conflit dans le Haut-Karabagh.
L'Azerbaïdjan et l'Arménie mènent des négociations sans efforts et sans espoir de trouver un compromis politique. Cela fait longtemps que les belligérants se concentrent sur la préparation pour un nouveau conflit militaire d'envergure dans cette zone, et non sur les négociations.
L'atermoiement au profit de l'ennemi est perçu différemment à Bakou et à Erevan. La capitale arménienne est d'avis que le rival azerbaïdjanais renforce sa puissance de feu, gonfle son arsenal d'attaque avec des armements de longue portée et de précision dans l'espoir d'une blitzkrieg, d'une opération éclair au moment le plus inattendu pour l'adversaire.
Alors que Bakou pense que le profit de cet ajournement de guerre pour la partie arménienne est militaro-politique. D'un côté, Erevan a réussi en quatre ans, depuis la guerre des quatre jours (2-5 avril 2016), à renforcer significativement sa puissance d'attaque (les missiles tactiques Iskander-E, les lance-roquettes multiples Smertch, les chasseurs polyvalents Su-30SM). De l'autre grandit le soutien de la Russie, allié de l'OTSC, compte tenu de la situation actuelle dans le Sud du Caucase et autour.
Toutefois, l'Azerbaïdjan prend de plus en plus appui sur l'aide de la Turquie, qui surveille de plus en plus de près le Karabakh à chaque cycle de sa confrontation "douce" avec la Russie au Moyen-Orient. La région syrienne d'Idlib génère actuellement une escalade impliquant Ankara et Moscou.
Pour la Turquie l'escalade dans le Karabakh est intéressante à la fois à titre de ressource et d'argument dans le "troc" militaro-politique avec la Russie. Idlib se trouve près de la frontière Sud de la Turquie, et à chaque cycle d'activités militaires des dizaines de milliers de réfugiés affluent vers ses frontières. Ce dernier bastion de combattants islamistes irréconciliables et "modérés" protégés par la Turquie sans faire de distinction est devenu pour le président Recep Erdogan un point pour défendre de manière intransigeante sa position dans le dossier syrien. A ses yeux tout est très clair: il existe un ennemi en la personne de Bachar al-Assad, et il existe l'opposition armée syrienne qu'il faut maintenir en état opérationnel afin de préserver la grande zone-tampon entre Ankara et Damas à la frontière Sud.
Quant au Karabakh (un "Idlib transcaucasien" du point de vue turc), tout n'est pas aussi évident pour la Russie. En cas d'escalade majeure dans la zone du conflit dans le Haut-Karabakh, la Russie se retrouverait dans une situation extrêmement délicate, quand le "choix" d'un camp ou d'un autre risque d'entraîner de lourdes conséquences. De ce fait, la ressource et l'argument de Recep Erdogan mentionnés dans le Sud du Caucase passent d'un état de conservation à l'état opérationnel à chaque nécessité de rappeler à Moscou ce point délicat et la vulnérabilité russe qui en découle dans le Karabakh en y lançant un scénario militaire.
La semaine dernière, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, en opposition au premier ministre arménien Nikol Pachinian, en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité, a conclu la conversation par une thèse déjà connue. Selon lui, les Arméniens devraient chercher sur la carte politique une autre place que l'Azerbaïdjan pour réaliser une nouvelle fois leur droit à l'autodétermination. De plus, de nouveau le dirigeant azerbaïdjanais a publiquement rejeté le modèle de règlement "paquet" proposé par Erevan, en pointant "l'absence d'alternative" du processus de paix par étapes.
Consciente de cela, l'Arménie en la personne de Nikol Pachinian pointe la nécessité pour les grandes puissances mondiales de déclarer fermement qu'il n'existe pas de solution militaire au conflit, que cette solution est exclue. La position d'Erevan est claire, et elle a déjà été approuvée par les présidents de la Russie, des Etats-Unis et de la France – pays-coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE. Il serait très opportun de rafraîchir la mémoire de Bakou concernant cette thèse, ainsi que d'envoyer à la Turquie un signal clair quant à l'inadmissibilité de saper le statu quo du Haut-Karabakh. Mais Washington et Paris ont actuellement autre chose à faire que de s'occuper du Karabakh.
Des hypothèses avaient déjà été émises auparavant concernant la période de l'éventuelle escalade autour du Karabakh. Si Bakou optait pour le scénario militaire, la décision de lancer l'offensive dans le Karabakh pourrait être annoncée dans les mois, voire dans les semaines à venir.
Le printemps de 2020 semble marquer une étape importante dans la détermination de l'avenir du pouvoir en Azerbaïdjan. Cette période pourrait également devenir déterminante dans la confrontation entre l'Arménie, le Haut-Karabakh et l'Azerbaïdjan. Le 31 mars, dans le Haut-Karabakh se tiendront la présidentielle et les législatives. L'idée d'empêcher le "régime d'occupation" (comme appelle Bakou les autorités de Karabakh) d'organiser sa campagne électorale et d'affirmer les réalités sur le terrain via une procédure démocratique dans le Karabakh est très tentante pour l'Azerbaïdjan. Le choix de l'instrument militaire pour ce faire sous le slogan du "rétablissement de l'ordre constitutionnel sur l'ensemble du territoire de l'Azerbaïdjan" s'invite. Et ce choix pourrait être vivement soutenu par Ankara, qui tente actuellement d'élaborer un nouvel algorithme dans les relations avec Moscou par rapport à la Syrie.