Le représentant de la majorité au pouvoir, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, et la principale figure de l'opposition, la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen se sont rencontrés en direct sur France 2. Les spectateurs comptaient sur un débat enflammé mais, à leur étonnement, les antagonistes étaient souvent prêts à se mettre d'accord. C'est une preuve de plus qu'à la présidentielle de 2022 les batailles principales se dérouleront essentiellement sur le flanc droit.
Il s'agissait de l'émission Vous avez la parole, et pendant près de 40 minutes la parole passait de Marine Le Pen à Gérald Darmanin. Chacun d'eux avaient son propre objectif.
La présidente du RN se prépare pour la présidentielle de 2022. Elle a déjà officiellement annoncé sa candidature. Ce n'est pas la première tentative de la famille Le Pen de s'emparer de l'Elysée, mais l'objectif tant convoité devient de plus en plus proche. Le fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, était passé au second tour en 2002 avec 18% des suffrages. Sa fille a obtenu 34% en 2017, alors que les derniers sondages lui promettent 48%. Chaque apparition à la télévision, chaque intervention sur les réseaux sociaux, c'est une préparation de la bataille à venir.
L'objectif de Gérald Darmanin, en tant que représentant éminent du parti au pouvoir, consiste à la freiner sur cette voie. Or puisque le thème de la sécurité, de l'emprise de l'islamisme et de l'immigration incontrôlée est central pour Marine Le Pen, où elle compte marquer des points, il est naturel que les rivaux télévisuels aient placé face à elle le ministre de l'Intérieur en charge de ces problèmes.
On ignore si cela avait un sens supplémentaire, mais parmi tous les ministres du gouvernement actuel Gérald Darmanin, aussi bien au vu de ses fonctions que de son histoire politique, est celui qui se rapproche le plus des positions de la chef du RN. Il est issu de l'UMP créée par Nicolas Sarkozy, transformée ensuite en Républicains (LR). L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, qui avait promis de "nettoyer la cité au Kärcher" et "débarrasser de la racaille", a activement participé à la mise au point de la loi contre le "séparatisme" (comprendre "islamisme"), qui vient d'être approuvée par l'Assemblée nationale et envoyée au Sénat.
Au final, en dépit de tous les pics échangés entre les adversaires pendant l'émission, ils faisaient pratiquement front uni. Deux répliques ont particulièrement marqué.
"J'ai lu votre livre avec beaucoup d'attention. Et à part quelques incohérences, j'aurais pu le signer, ce livre", a déclaré Marine Le Pen en tenant à la main le récent essai de Gérald Darmanin intitulé Le Séparatisme islamiste.
Au reproche adressé au ministre de ne pas être suffisamment radical ce dernier a répliqué par une moquerie par rapport aux efforts permanents de Marine Le Pen de diaboliser le parti effrayant les Français par sa radicalité: "Madame Le Pen, dans sa stratégie de dédiabolisation, en vient quasiment à être dans la mollesse, je trouve. Il faut prendre des vitamines, je ne vous trouve pas assez dure, là."
A la surprise des spectateurs, les interlocuteurs ne faisaient qu'une seule chose: ils se reprochaient l'absence de fermeté envers les islamistes, les récidivistes et les immigrants. Marine Le Pen a exigé d'interdire tous les signes religieux ostensibles dans l’espace public, ce à quoi Gérald Darmanin a demandé si elle avait l'intention de retirer les croix des chrétiens et les kippas des Juifs. En réponse aux accusations d'avoir délivré un trop grand nombre de titres de séjour aux étrangers, le ministre s'est vanté du nombre de titres de séjour retirés et refusés.
Gérald Darmanin pointait constamment le fait que son interlocutrice ignorait les chiffres réels et les manipulait.
Le ministre de l'Intérieur s'est montré plus informé sur les statistiques, ce qui fait toutefois partie de ses fonctions. Marine Le Pen utilisait, comme toujours, des notes et des antisèches – la même erreur commise en 2017 au débat décisif face au candidat Emmanuel Macron. Un échec que Gérald Darmanin n'a pas manqué de rappeler: "Il faut mieux se préparer pour les prochains débats de la présidentielle, on va encore vous juger trop approximative." Cette phrase a provoqué une question surprise de la présentatrice: "Autrement dit, vous êtes sûr qu'elle passera au second tour?" "Merci pour la confiance", a ironisé Marine Le Pen.
L'entretien avec Gérald Darmanin était censé convaincre les futurs électeurs que même sans le Rassemblement national le parti au pouvoir parviendrait à gérer les menaces et rendrait enfin aux Français le sentiment de sécurité perdu. L'ancien ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, ainsi que le Ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, se sont déjà joints aux attaques contre Marine Le Pen. Emmanuel Macron considère indéniablement cette dernière comme sa principale rivale, et le thème de la "sécurité" comme décisif à la prochaine présidentielle. Cela promet une dérive de la politique vers la droite, et visiblement Marine Le Pen se mesurera prochainement à Emmanuel Macron en termes de force de diabolisation.
Alexandre Lemoine
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