La France et l'Allemagne appellent l'Iran à revenir au plus vite aux négociations sur la reprise de l'accord nucléaire, qui se sont retrouvées dans une impasse. Cependant, Téhéran ne semble pas être pressé de réagir.
Le nouveau ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a déclaré que les négociations sur le nucléaire iranien ne reprendraient pas d'ici deux ou trois mois. D'après lui, l'Iran ne cherche pas à "fuir" les tentatives de relancer le pacte de 2015, mais le nouveau gouvernement, dont la constitution a été validée par le parlement le 26 août, doit d'abord déterminer sa politique. Pendant son entretien téléphonique avec son homologue français Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie iranienne a averti que l'Iran participerait uniquement aux négociations qui apporteraient des résultats palpables dans la garantie des droits et des intérêts du peuple iranien.
Rappelons qu'à l'issue de six cycles de négociations à Vienne entre avril et juin 2021, avec la participation de la Russie, de la Grande-Bretagne, de la Chine, de la France et de l'Allemagne, qui ont signé le Plan d'action global commun, le sort de l'accord sur le nucléaire iranien ne tient qu'à un fil. La discussion des problèmes de relance du Plan d'action sur fond de changement de gouvernement en Iran et d'arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi a été suspendue à l'initiative des Iraniens le 21 juin, à l'issue du sixième cycle.
Les États-Unis espéraient que l'ayatollah Ali Khamenei accorderait aux négociateurs iraniens les pouvoirs pour clore l'accord avant la présidentielle, mais au lieu de cela le guide suprême de l'Iran a suspendu les négociations jusqu'à l'investiture du nouveau président et la constitution de son cabinet. Sachant qu'Ali Khamenei n'a pas tiré un trait sur les résultats des négociations de Vienne en précisant: "Les Américains sont restés sur leur position obstinée. Sur le papier et en paroles ils promettent de lever les sanctions, mais ils ne l'ont pas fait et ne le feront pas."
Le gouvernement iranien a des raisons de ne pas faire confiance à la nouvelle administration américaine. Joe Biden partage le même objectif avec Donald Trump: la signature d'un nouvel accord remplaçant le Plan d'action au profit des États-Unis. La menace principale représentée par l'Iran pour les États-Unis n'est pas nucléaire. La politique iranienne vis-à-vis d'Israël, du Liban, de la Syrie, de l'Irak, du Yémen et de l'Afghanistan fait entrave aux plans américains. A l'heure actuelle, rien n'indique que la politique régionale change sous la pression de l'Amérique ou que Téhéran est prêt à se soumettre aux exigences de l'administration Biden. Le fait que l'Iran ne représente pas pour les États-Unis une menace militaire sérieuse ne signifie pas que l'Iran peut être contrôlé.
Depuis 2017, l'Amérique a resserré le nœud des sanctions contre l'Iran. Cette politique de "pression maximale" a indéniablement infligé un grand préjudice économique à l'Iran. La croissance économique, qui a suivi l'annulation des sanctions en 2016, a cédé la place à la récession. La monnaie iranienne a perdu les deux tiers de sa valeur, alors que les exportations de pétrole, qui étaient une source importante des revenus de l'État, ont chuté de 2,5 millions de barils par jour à moins de 0,5 million. Le manque à gagner de l'Iran des revenus pétroliers avoisine 100 milliards de dollars à cause des sanctions américaines.
Néanmoins, Téhéran poursuit sa politique jugée optimale pour sa sécurité nationale, indépendamment du niveau du bien-être économique dans le pays. En exigeant la levée des sanctions l'Iran pose de nouvelles conditions. Les Iraniens insistent sur les indemnisations pour les conséquences de la décision de Donald Trump de se retirer du Plan d'action, ainsi que sur les garanties que Joe Biden et les administrations suivantes ne feront pas la même chose.
De son côté, Washington exige que l'Iran accepte de prolonger et de renforcer les conditions initiales du Plan d'action, ainsi que d'entamer la discussion sur le programme iranien des missiles et de soutien de ses alliés dans les pays de la région. Téhéran a publiquement déclaré qu'il ne ferait ni l'un ni l'autre. En réponse, l'administration Biden a refusé d'assouplir sa politique de "pression maximale".
Les représentants iraniens déclarent que puisque l'administration Biden ne prend pas de mesures pour lever les sanctions décrétées par Donald Trump transgressant le Plan d'action, l'Iran a le droit légitime de ne pas respecter les termes de l'accord.
Téhéran a élargi la production de combustible nucléaire, a utilisé des centrifugeuses plus modernes et a lancé la production d'uranium enrichi jusqu'à 20%. En février dernier, l'Iran a entamé la production d'uranium métallique enrichi qui, selon les inspecteurs de l'AIEA, pourrait être utilisé pour créer le noyau de l'arme nucléaire. L'Iran a également averti qu'il pourrait limiter l'accès des inspecteurs de l'AIEA sur ses sites nucléaires. Ce qui serait une très grave infraction parce que l'accès des inspecteurs est un élément clé de l'accord.
Dans quelles mesures les craintes concernant le progrès de l'Iran en matière de technologies nucléaires sont-elles fondées? Comme auparavant, il n'existe pas de preuves que l'Iran a enrichi la matière jusqu'à 90%, le niveau nécessaire pour fabriquer la bombe nucléaire. Selon l'Association pour la maîtrise des armements, l'Iran ne possède pas un programme d'urgence d'élaboration de l'arme nucléaire et, apparemment, il est prêt à adopter une position plus intransigeante aux négociations afin de tenter d'utiliser ses infractions nucléaires pour obtenir des concessions supplémentaires de la part des États-Unis.
L'histoire montre que certains pays disposants de technologies nucléaires avancées mais sans armes nucléaires, ce qu'on appelle des États nucléaires clandestins, préfèrent rester ainsi, au lieu de s'empresser de créer l'arme nucléaire. Il existe des raisons de penser que l'Iran pourrait également décider de rester non nucléaire, du moins dans un avenir prévisible, indépendamment des décisions des États-Unis en matière de sanctions et même longtemps après l'expiration du Plan d'action.
En se retirant du Plan d'action Donald Trump cherchait à apporter des modifications à l'accord nucléaire en y incluant obligatoirement des restrictions pour les programmes balistiques de l'Iran. L'équipe de Joe Biden tente, sous couvert du retour américain dans le Plan d'action, d'atteindre le même objectif. Les États-Unis laissent entendre qu'ils sont prêts à relancer les négociations, mais il est peu probable qu'ils changent de cap.
La politique du nouveau président iranien pourrait compliquer l'accomplissement des objectifs fixés. Ebrahim Raïssi promet que l'Iran aspirera à des relations équilibrées avec le monde extérieur et que la politique étrangère du pays ne se limite pas à l'accord nucléaire. Il exclut la possibilité que le programme balistique iranien puisse fait l'objet de négociations. Ebrahim Raïssi ne voit aucune possibilité d'interagir avec les États-Unis sur un plus large éventail de questions si Washington ne tenait pas ses engagements dans le cadre de l'accord nucléaire.
Le sort de l'accord nucléaire avec l'Iran reste flou. En l'absence de progrès notables dans la politique de confrontation des États-Unis vis-à-vis de l'Iran, il ne faut pas s'attendre à des concessions de la part de Téhéran. Alors que la position intransigeante de l'Iran pourrait vouer les négociations à l'échec.
Alexandre Lemoine
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