Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken s'est rendu à Paris pour tenter de remédier au conflit survenu après la rupture d'un contrat d'armement bénéfique pour la France par la faute de Washington. Les Américains ne promettent pas de compensations considérables à leur allié. Néanmoins, la France les attend, même si le renforcement de la confrontation avec Washington n'est certainement pas dans son intérêt.
Antony Blinken restera en France du 4 au 6 octobre. Le but officiel de sa visite est la participation à la tête de la délégation américaine à la réunion du Conseil des ministres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont l'ordre du jour officiel est la lutte contre les changements climatiques et la sécurité mondiale. Cette visite était prévue avant l'annonce, le 15 septembre, du pacte AUKUS. Rappelons que l'apparition de cette alliance, dont les membres se sont engagés à échanger les technologies militaires, a été utilisée par les Australiens pour rompre le contrat critiqué depuis longtemps avec le français Naval Group. À présent, l'Australie ne construira pas des sous-marins diesels sur les chantiers navals français, mais des sous-marins nucléaires conjointement avec les États-Unis. La réaction des autorités françaises a été tumultueuse: elles ont parlé d'un "coup dans le dos" et ont rappelé les ambassadeurs de Washington et de Canberra. Ce qui a forcément apporté des changements au programme de la visite d'Antony Blinken.
Maintenant, les pourparlers qui se dérouleront à Paris feront partie des efforts de l'administration américaine pour normaliser les relations avec la France. Après un entretien téléphonique entre les deux présidents, Emmanuel Macron et Joe Biden, l'ambassadeur français Philippe Étienne est revenu à Washington le 29 septembre. Antony Blinken faisait partie des premiers représentants américains à s'entretenir avec lui. À Paris, le secrétaire d'État ne rencontrera pas seulement son homologue Jean-Yves Le Drian. Il pourrait également s'entretenir avec Emmanuel Macron personnellement. C'est ce qu'a déclaré, le 1er octobre, lors d'une visioconférence la secrétaire d'État adjointe pour l'Europe et l'Eurasie Karen Donfried.
Cela donne l'impression que Joe Biden a décidé de lancer ses meilleures forces pour trouver un compromis avec la France. Juste avant la visite du secrétaire d'État à Paris, Philippe Étienne s'est entretenu avec Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis. De plus, un "poids lourd politique" se joindra aux pourparlers dans la capitale française: l'ancien secrétaire d'État et représentant spécial du président américain pour le climat, John Kerry, s'y rendra mercredi.
La volonté de Joe Biden de normaliser définitivement les relations avec la France s'explique notamment par des raisons politiques. La normalisation des relations avec l'UE détériorées pendant le mandat de Donald Trump était positionnée par l'administration actuelle comme un grand succès en politique étrangère. Le scandale qui a suivi la formation de l'AUKUS a anéanti ce succès. Aujourd'hui, la politique étrangère de Joe Biden ressemble à une série d'échecs, et pas seulement aux yeux de ses critiques républicains: il n'a pas réussi à organiser dûment le retrait d'Afghanistan, il a admis une crise migratoire et il s'est brouillé avec l'UE. Dans l'ensemble, cette dernière soutient pour l'instant la position de la France. Comme en témoigne le report des pourparlers sur le libre-échange entre l'UE et l'Australie. Leur 12e cycle était prévu pour le 12 octobre. Cependant, le ministre australien du Commerce, des Investissements et du Tourisme Dan Tehan a déclaré, le 1er octobre, que les pourparlers avaient été reportés à l'initiative de l'UE sans explication officielle.
La France fait tout pour obtenir des réparations pour les pertes subies suite à la rupture du contrat de Naval Group. Il est estimé à des dizaines de milliards de dollars. La question relative aux réparations sous telle ou telle forme des pertes françaises pourrait devenir centrale lors des pourparlers avec M. Blinken. Les Américains n'ont encore fait aucune proposition publique aux Français capable d'amortir le préjudice infligé par la création de l'AUKUS.
Alexandre Lemoine
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