La crise euro-atlantiste, qui a débuté sous Donald Trump, a été provoquée, d'une part, par un changement de vecteur de la politique étrangère américaine et, d'autre part, par la volonté croissante d'indépendance de défense des élites européennes. Et, cela a fini par aboutir au dénouement attendu avec l'alliance AUKUS qui a été révélée en septembre par l'échec d'un accord pour fournir des sous-marins français à l'Australie, tout en montrant des divisions clés dans la sécurité européenne.
Dans le scandale qui a éclaté, l'Europe s'est rangée du côté des Français, et ce n'est pas surprenant. Bruxelles s'oriente constamment vers la création d'une armée souveraine et la France est à la tête de ce processus. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a prononcé, mercredi 15 septembre, son discours sur l'état de l'Union devant le Parlement européen à Strasbourg. Elle a annoncé un sommet sur la défense qui sera organisé par la présidence française de l'Union européenne au premier semestre de 2022. Elle a notamment expliqué: «Le moment est venu pour l'Europe de passer à la vitesse supérieure pour se "défendre contre les cyberattaques, agir là où l'Otan et l'ONU ne sont pas présents et gérer les crises à temps"». Ursula von der Leyen a, donc, proposé de créer une Union européenne de la défense en utilisant les outils militaires existants dans les affaires internationales sans l'aide des Etats-Unis et de l'Otan.
Le 6 octobre, le président du du Conseil européen, Charles Michel, a ajouté: «Afin de s'affirmer davantage et d'être plus efficace sur la scène internationale, l'Union européenne doit renforcer sa capacité à agir de manière autonome, en tant que puissance économique, grâce à notre marché unique, à des normes (en matière de climat, d'énergie, de numérique, de politique industrielle), à l'égalité des conditions de concurrence, et à la réciprocité; et dans le domaine de la sécurité et de la défense de l’UE»; «Nous œuvrerons à l’élaboration d’une nouvelle déclaration politique avec l’Otan avant le sommet de l'Otan de juin 2022».
La France, elle, dans le cadre d'une stratégie européenne de défense commune, a toujours agi plus activement que d'autres. Tout au long de sa présidence, Emmanuel Macron a prôné à plusieurs reprises une «plus grande autonomie stratégique»de l'Europe en matière de défense. Le 15 février 2020, il prononce un discours dans lequel il annonce de nouvelles thèses de politique européenne de défense: «Il y a en effet un affaiblissement de l'Occident»; «On pensait, il y a quinze ans que nos valeurs étaient universelles, qu'on allait dominer le monde durablement, qu'on était dominant sur le plan technologique, sur le plan militaire»; «L'émergence chinoise évidemment est à prendre en compte»; «Il faut avoir une stratégie»; «Il y a une politique américaine qui a commencé (...) une forme de repli relatif, en tout cas (…) une reconsidération de la relation avec l'Europe». Faisant ce constat, le président française a déclaré que «tout ça me convainc» (...) «dans l'idée que nous avons besoin d'une stratégie européenne qui est celle de nous revivre comme une puissance politique stratégique. Et donc moi, je vois une Europe beaucoup plus souveraine, unie et démocratique».
Par ailleurs, il y a un dialogue sur le rôle de la dissuasion nucléaire française. La logique derrière cette stratégie est assez évidente. Après le Brexit, la France est restée la seule puissance nucléaire de l'Union européenne (avec le plus grand arsenal d'Europe) et membre du Conseil de sécurité de l'Onu. Elle dispose des plus grandes forces terrestres et maritimes de l'UE. Mais, ce qui est probablement encore plus important dans le contexte d'une armée européenne unifiée, ce sont les vastes opportunités qui s'ouvrent pour le complexe militaro-industriel national. Par exemple, pour cette raison, Paris milite pour un refus paneuropéen d'achat des chasseurs-bombardiers américains F-35A Lightning II, afin, évidemment, de les remplacer par le projet européen Scaf présenté au Bourget 2019.
Dans ce contexte, la CDU/CSU subit la défaite attendue en Allemagne. Angela Merkel s'en va. La France prendra la place de présidence de l'UE le 1er janvier avec Emmanuel Macron. Il est difficile d'imaginer un meilleur moment pour une évasion. Cependant, en ce moment, des événements se déroulent qui obligent les autorités françaises à agir conformément à leurs ambitions .
Un coup d'Etat militaire anti-français en Guinée, une démarche des autorités maliennes contre la France, un scandale avec des conséquences dans les relations avec l'Algérie, et maintenant - un «coup de poignard dans le dos» (AUKUS) des alliés de l'Otan. D'ailleurs, les Etats-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni ont annoncé la création d'AUKUS, non seulement sans y appeler les Français, mais sans même les prévenir. Et, c'est pour Paris, qui considère la région Asie-Pacifique comme une zone de ses intérêts, un coup bien plus sensible que la perte de 66 milliards de dollars d'un accord raté.
C'est pourquoi, en France même, ces événements ont été perçus d'une manière extrêmement douloureuse. Et le point ici, évidemment, n'est pas seulement dans le comportement «non allié» des Etats-Unis. La France de Macron depuis son élection à la présidence, c'est la France, qui prétend être une puissance mondiale, le leader d'une Europe unie. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'hostilité envers les Anglo-Saxons réunisse toutes les forces politiques du pays.
Le chef de la gauche La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, a appelé à se retirer de l'Otan. Le même point de vue est partagé par la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen. Les élections présidentielles françaises approchent en avril prochain, ce qui signifie que dans le contexte de la convergence des circonstances politiques nationales et étrangères, que le «président des riches», Emmanuel Macron, tentera d'intercepter l'agenda de ses opposants. Dans ce contexte, le chef de l'Etat, curieusement, a une chance , une fois de plus, d'essayer le rôle du «nouveau de Gaulle» et d'essayer de convaincre ses concitoyens de l'authenticité de cette image.
Cependant, comme déjà mentionné, cette fois les enjeux sont beaucoup plus élevés. L'enjeu pour le président français n'est pas seulement la fameuse question de la sécurité européenne qui, au fil des années de discussions infructueuses, est devenue un instrument du populisme de droite. Paris déclare son intention de devenir le véritable leader politique de l'Europe pour les années à venir et de lui redonner une subjectivité politique, ce qui n'arrive jamais sans la condition de souveraineté matière de défense. Ainsi, la réalité même politique, oblige Emmanuel Macron à passer de la parole à l'action. Une autre chance de ce type ne se présentera peut-être pas. Des politiciens plus décisifs pourraient, sinon, très bientôt prendre sa place. Heureusement, il y a assez de candidats.
Pierre Duval
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