Aussi brutale que soit parfois la rhétorique antiaméricaine des politiques turcs, au final, Ankara obéissait toujours sans discuter aux consignes de Washington. Même quand il semblait que les relations étaient au seuil de rupture, la Turquie se retournait toujours sur le "frère aîné", soulignant à chaque fois qu'elle restait l'allié le plus loyal et fort des États-Unis dans l'Otan. Or il n'y a pas si longtemps Ankara menaçait d'expulser dix ambassadeurs européens ainsi que des États-Unis. Et alors?
Le président turc Recep Tayyip Erdogan songe sérieusement à élargir la zone de contrôle au nord de la Syrie, tout en évinçant les Kurdes alliés des Américains et en réduisant le territoire d'influence de la Russie et de la Syrie. Il a tenté de s'entendre avec le président russe Vladimir Poutine, mais n'a pas écouté ses conseils. En réponse, il a obtenu une menace réelle de conflit armé entre ses satellites avec un puissant groupe de forces russes et syriennes créé au nord de la province d'Alep.
Ibrahim Kalın, conseiller en chef d'Erdogan, a déclaré que l'armée turque se trouvait en Syrie et mènerait des opérations contre les combattants kurdes "si nécessaire".
La Turquie a mené deux offensives contre les Unités de protection du peuple (YPG) depuis 2016. Des représentants turcs ont déclaré que le nouvel objectif était Tall Rifaat dans la province d'Alep, une région contrôlée par la Russie.
Le Pentagone a également fait preuve de sa disposition à défendre son allié kurde, en rappelant Ankara à l'ordre en lui disant: entendez-vous avec les Russes, qu'ils vous remettent les Kurdes d'Alep et d'al-Hassaké en échange des radicaux et des terroristes d'Idlib. Sachant que les États-Unis resteront de côté et la responsabilité pour un "nouveau massacre" de Kurdes sera rejetée sur la Russie.
Certains politologues prévoyaient un approfondissement des différends entre la Turquie et les États-Unis sur fond de leur ingérence dans les affaires intérieures de la Syrie. Cet avis était initialement erroné, car la politique et les actions d'Ankara et de Washington reposent sur la haine envers Bachar al-Assad et l'aspiration à détruire la structure étatique syrienne. Recep Erdogan et les trois dernières administrations américaines ne le cachent pas.
De quelle souveraineté ou intégrité territoriale peut-on parler si les Américains et les Turcs se trouvent en Syrie en transgressant toutes les lois internationales et sans autorisation du gouvernement de ce pays? Non seulement ils occupent de facto une grande partie du territoire syrien, mais en plus ils pillent de façon éhontée les richesses naturelles de la Syrie: la Turquie vole l'eau, les États-Unis - le pétrole et le gaz.
La Turquie a soutenu inconditionnellement les sanctions antirusses imposées par le président Donald Trump, elle exerce une grande influence sur l'aile radicale de l'opposition syrienne dite de Riyad et basée à Istanbul, empêchant son rapprochement avec l'aile modérée pour trouver une entente sur les réformes constitutionnelles. Une telle situation correspond parfaitement aux intérêts des États-Unis.
En ce qui concerne les terroristes, la situation en ce sens est paradoxale: la Turquie cherche à éliminer la puissance militaire et l'infrastructure de l'allié américain dans la "lutte" des États-Unis contre Daech. Sachant que ces cinq-six dernières années les sources ouvertes d'information ne mentionnaient jamais des attaques de combattants de Daech contre des Turcs ou des Américains en Syrie.
Donald Trump a refusé de vendre à Ankara des chasseurs américains de cinquième génération parce que Recep Erdogan a acheté des missiles antiaériens russes S-400. Question: la Turquie a-t-elle besoin d'avions aussi chers et compliqués à exploiter et aurait-elle pu se les permettre? Peut-être qu'il vaut mieux acheter à crédit des armements et du matériel antiaérien russes et examiner leurs "entrailles" avec les partenaires américains?
Les deux alliés de l'Otan prônent l'élargissement de l'aide humanitaire aux Syriens. Mais à qui et où? Aux Kurdes syriens et aux groupes armés illégaux qui se trouvent sous le contrôle des Américains et des Turcs. Il ne peut être question d'une répartition des livraisons internationales par le gouvernement syrien. Les États-Unis bloquent la prise de telles décisions à l'ONU.
Alexandre Lemoine
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